Cette entreprise, est-elle un manifeste, un manuel ou une vitrine pour l'Ecole des hautes études en sciences sociales ?
Ce n'est sûrement pas un manifeste en ce sens que ces trois livres ne veulent pas déployer l'étendard d'une nouvelle façon de faire des sciences sociales. En revanche, ils témoignent des façons de faire d'une génération de sociologues, d'historiens, d'anthropologues, de philosophes... qui se reconnaît dans la défense de l'unité des sciences sociales. Sans être le représentant de l'EHESS, ce projet fait état de ce qui nous paraît le plus dynamique dans les sciences sociales telles qu'elles sont faites à l'Ecole. On n'est plus à l'époque où l'on pouvait dessiner le paysage des sciences sociales en groupes, chapelles, institutions... Il y a des lieux différents, mais on dialogue, on discute.
Comment fait-on des sciences sociales aujourd'hui ?
D'abord, on ne travaille plus enfermé dans une seule discipline. Ensuite, les sciences sociales se sont débarrassées de l'impérialisme de la théorie. Elles travaillent avec le souci du terrain, dans ce qu'on pourrait appeler un empirisme assumé. Les chercheurs n'ignorent pas la théorie et l'épistémologie, mais ils ne s'inscrivent plus dans le sillage des grands paradigmes qui guidaient certains travaux. Aujourd'hui, ils butinent. Enfin, les sciences sociales sont mondialisées : leurs objets sont mondiaux, la circulation des connaissances aussi.
Elles paraissent pourtant moins visibles...
Pour plusieurs raisons. Elles ont gagné dans l'explication quotidienne du monde. Un savoir ordinaire a accueilli les sciences sociales, et donc elles se distinguent moins. Ensuite, la massification de la recherche et donc des façons de faire, les rend moins accessibles. Il est plus difficile de s'y reconnaître. Enfin, elles se sont professionnalisées, ce qui les a conduites à se replier sur elles-mêmes. Elles ont moins le souci de communiquer à l'extérieur, et elles en ont même un peu peur. Je suis frappé par la négligence littéraire de l'expression dans les sciences sociales. On a l'impression que l'écriture n'est pas un souci, il y a même une espèce de méfiance à son égard, comme si elle était là pour parasiter les sciences sociales. C'est la difficulté que rencontre le livre de sciences sociales...
De Pascale Hagg et Cyril Lemieux ; Comparer, sous la direction d'Olivier Remaud, Jean-Frédéric Schaub et Isabelle Thireau ; Généraliser, sous la direction d'Emmanuel Désveaux et Michel de Fornel (15 euros chacun).