« Récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l'œuvre de la libération de la France et de son empire. » Tel est le but de la création le 16 novembre 1940 de l'ordre des Compagnons de la Libération. En tant que chef de la France libre, le général de Gaulle ne peut décerner la Légion d'honneur - remplacée symboliquement par la Francisque -, restée propriété de l'Etat français. Il envisage donc ce nouvel ordre dans lequel il n'y a qu'un seul grade - compagnon - et qui prendra fin après la guerre. Le 23 janvier 1946 la liste des récipiendaires est close : 1 059 dont 6 femmes auxquels s'ajoutent Winston Churchill en 1958 et le roi George VI en 1960 à titre posthume.

Jean-Christophe Notin a raconté cette aventure dans 1 061 Compagnons (Perrin, 2000). Dans Ils étaient 1 038 - 1 061 moins les 18 unités combattantes et les cinq communes -, il révèle les entretiens qu'il a eus avec ces Croisés de la Libération au milieu des années 1990 dont il ne reste aujourd'hui que quatre survivants. Il déroule le fil chronologique des événements : la débâcle, l'engagement, l'arrivée à Londres ou dans les maquis, la rencontre avec de Gaulle, les combats, la Libération, le retour à la vie normale. Pour chaque moment, les Compagnons s'expriment en toute franchise, avec leurs différences d'appréciation, leur sensibilité.

Sur l'engagement on constate que le discours du maréchal Pétain du 17 juin 1940 - « Je fais à la France le don de ma personne » - fut vécu comme un deuil, et celui du général de Gaulle le lendemain comme un espoir. Les motivations se cristallisent autour de ce refus. Pour l'historien Jean-Pierre Vernant, « on ne pouvait vivre qu'en commençant à faire quelque chose, pour démolir cet édifice ». Ce processus mental se met en place pas à pas selon Serge Ravanel. « Toute l'histoire de la Résistance est une histoire de transformation des individus ». Georges Guingouin illustre bien cette métamorphose de l'instituteur en guerrier, tout comme celle de Lazare Pytkowicz, alias « Petit Louis », qui passe entre les mains de Klaus Barbie. Parfois, il fallait se forcer un peu pour mériter ce ruban rayé de noir avec la croix de Lorraine. Pierre Clostermann suivait des cours d'ingénieur à l'université de Californie. « La plage de Malibu à l'époque, les belles filles, Hollywood... C'était le rêve. J'étais bien embêté. » Il rejoint l'Angleterre pour devenir pilote de la France libre.

A travers ces déclarations de gens très différents, intellectuellement, socialement, se dessine ce qui a pu constituer le gaullisme originel, un engagement sans doctrine, une politique constituée de l'énergie de chacun que Jacques Chaban-Delmas résume dans une formule : « Chaque Compagnon porte en lui l'ordre, et l'Ordre réunit tous les Compagnons. »