C’était dans cette même collection de la "Bibliothèque des histoires" qu’Olivier Pétré-Grenouilleau avait enflammé quelques esprits avec ses Traites négrières (Gallimard, 2004). Dans ce travail salué par plusieurs prix prestigieux, l’historien rompait avec les idées reçues. Il détaillait trois traites (africaine, orientale et occidentale) en montrant qu’elles ne revêtaient pas un caractère génocidaire, les négriers ne voulant pas exterminer leur "marchandise" mais gagner de l’argent.
Depuis, Olivier Pétré-Grenouilleau a publié d’autres livres sur ce sujet et dirigé un Dictionnaire des esclavages (Larousse, 2010). Cette nouvelle étude est une sorte de synthèse qui marque la fin d’un itinéraire dans l’exploration de cette histoire globale. Aujourd’hui professeur à Sciences Po et inspecteur général de l’Education nationale, il examine à la fois les faits et les notions qui se rattachent à l’esclavage.
Si l’aspect moral est essentiel, Olivier Pétré-Grenouilleau n’en délaisse pas moins la dimension économique et la question de son utilité historique. En 2013, il avait publié Et le marché devint roi (Flammarion) sur le capitalisme et ses dérives.
L’esclavage africain, arabe et occidental est raciste avant d’être économique car il suppose certains hommes inférieurs à d’autres. Cette inégalité se retrouve socialement dans le monde du travail où les prolétaires de la révolution industrielle deviennent des esclaves modernes. Mais la situation de ces ouvriers, aussi épouvantable soit-elle, ne doit pas servir à édulcorer celle de l’esclave. Ce fut pourtant le cas au XIXe siècle avec le discours des esclavagistes américains contre les abolitionnistes anglais accusés d’asservir leurs ouvriers dans leurs usines. Louis Blanc écrivit même que "l’esclavage" des prolétaires lui semblait "plus lamentable encore" que celui des Noirs. Mais comparaison n’est pas raison.
L’esclave apparaît bien ici comme un homme possédé par un autre, susceptible d’être utilisé comme une chose et dont l’appartenance à la société dépend de son maître. Au XIXe siècle, Lamennais définissait l’esclavage comme une mise hors humanité d’êtres humains. Mais paradoxalement, l’esclave demeure un homme au regard des lois divines car c’est en tant qu’homme et non que chose qu’il est utile à son maître. "L’esclave n’est donc pas seulement un homme, pouvant éventuellement être affranchi, note Pétré-Grenouilleau. C’est un homme frontière, en sursis."
Au terme de cette étude poussée, l’invention de l’esclavage demeure un mystère. C’est finalement la résistance des esclaves qui entraîna la fin des sociétés esclavagistes. Elles ne pouvaient sortir autrement de cette barbarie que par l’abolition. Pour Olivier Pétré-Grenouilleau, cette radicalité politique était nécessaire et exemplaire.
Laurent Lemire