Le Monde Diplomatique de ce mois-ci donne à lire la transcription française d’un (très long) article de Robert Darnton publié le 12 février dernier dans The New York Review of Books . Dans cet article, Darnton revient sur l’accord passé, à l’automne 2008, entre Google et un collectif d’auteurs et d’éditeurs, sur la numérisation massive des fonds entreprise par le moteur de recherche, et qui n’attend plus que l’approbation d’un tribunal de New York pour devenir effective. Après avoir épluché les 134 pages et 15 appendices de l’accord, Darnton avoue en être resté « bouche bée » : « V oici posées les fondements de ce qui pourrait devenir la plus grande bibliothèque du monde. Une bibliothèque numérique, certes, mais qui battrait à plate couture les établissements les plus prestigieux d’Europe et des Etats-Unis. De surcroît, Google se hisserait au rang de plus grande librairie commerciale de la planète. Son empire numérique relèguerait Amazon au rang de boutique de quartier ». Darnton revient longuement sur l’esprit des Lumières qui, dès le XVIIIè siècle, a rêvé d’une démocratisation du savoir. Et il souligne le rôle joué par les bibliothèques publiques dans cet « encouragement à apprendre ». Une logique très différente de celle des entreprises « créées pour rapporter de l’argent » : « Quand des entreprises comme Google considèrent une bibliothèque, elles n’y voient pas nécessairement un temple du savoir, mais plutôt un gisement de contenus à exploiter à ciel ouvert ». Darnton n’est pas opposé à la numérisation massive des fonds des bibliothèques : mieux, il la considère comme nécessaire, pour répondre justement au vœu des Lumières : « Mais il faut le faire dans l’intérêt public, c’est-à-dire en gardant la responsabilité des contenus devant les citoyens ». Pour l’instant, reconnaît-il, Google n’a jamais cherché à abuser de son pouvoir. « Mais que se passera-t-il lorsque ses dirigeants actuels vendront leurs parts ou prendront leur retraite ? (…) Que se passera-t-il si Google privilégie ses profits au détriment de son public ? Rien, si l’on en croit les dispositions de l’accord ». Et Darnton de redouter que ne se répète l’erreur « qui fut commise avec les revues scientifiques laissées en gestion aux éditeurs privés » : il cite ainsi plusieurs cas édifiants, comme l’abonnement au Journal of Comparative Neurology, qui coûte désormais 26 000 dollars par an, ou celui à Tetrahedron, spécialisée dans la chimie bio-organique, qui coûte 18 000 dollars (40 000 dollars avec les hors-séries !), alors que les contributeurs de ces revues travaillent la plupart du temps gratuitement. « Ces tarifs astronomiques ont un effet désastreux sur la vie intellectuelle », car les bibliothèques sont obligées, du coup, de réduire leurs achats de monographies, et les éditeurs universitaires, devant la baisse de leurs ventes, obligés de réduire leur production.  En résumé, Darnton invite, de toute urgence, à « rééquilibrer la balance », avant que Google ne puisse inaugurer « l a plus grande bibliothèque et le plus important magasin de livres de l’histoire ». Faute de quoi, « les intérêts privés pourraient bientôt l’emporter pour de bon sur l’intérêt public. Et le rêve des Lumières serait alors plus inaccessible que jamais. » *** Dans un tout autre genre, mais encore plus terrifiant, Le Figaro Littéraire nous apprend que, cette année, le salon du livre de Ryad s’est ouvert aux femmes. Splendide, isn’it ?   Mais les évêques brésiliens ont déjà excommunié la manifestation. *** Encore dans un autre genre, mais plus léger cette fois, Robert Laffont publie une biographie de Bernard Blier. Livre assez moyen, bourré de clichés, qui n’est malheureusement pas à la hauteur de cet acteur grandiose. Mais on y apprend — ce qui nous rend le bonhomme encore plus sympathique — qu’il était passionné de lecture (à chaque déplacement pour un tournage, il emportait toujours un Pléiade avec lui, et possédait toute la collection), doublé d’un bibliophile compulsif : « C’est comme une drogue », disait-il, ajoutant : « J’aurais bien aimé être libraire, mais je n’aurais pas voulu vendre mes livres ! »
15.10 2013

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