Du côté des lecteurs ?

Les librairies BD au cœur du lien intergénérationnel autour de la lecture

Jeux de regards sur le stand Kazé. - Photo Olivier Dion

Les librairies BD au cœur du lien intergénérationnel autour de la lecture

L’inquiétude des adultes à propos de la lecture des jeunes est ancienne. Elle anime tant les parents (et grands-parents) que les institutions en charge de la promotion de la lecture qu’il s’agisse des bibliothèques territoriales ou des CDI des collèges et lycées.

Les générations passées ont à cœur de vouloir transmettre la pratique telle qu’ils la vivent, la pensent ou la rêvent. La lecture d’imprimés, au contraire de celle des écrans, serait un support de découverte, de formation, d’évasion supérieur à celle des écrans. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’un des résultats médiatiquement marquants de la récente enquête sur les jeunes Français et la lecture soit l’écart entre le temps dédié aux écrans et celui consacré à la lecture : 3h50 par jour pour le premier contre 3h14 par semaine pour le second.

De leur côté, les jeunes (en tant que génération et aussi souvent en tant qu’individus) s’évertuent à sortir de la prescription qui leur est imposée. La lecture leur apparaît d’abord comme chargée de significations qui ne sont pas les leurs. D’ailleurs un quart des lycéens détestent ou n’aiment pas trop lire contre 7% des élèves de primaire. L’injonction à lire produit une réaction de rejet non négligeable. Du point de vue du type de livre, les jeunes plébiscitent ce qui relève d’un univers éloigné des pratiques légitimes des adultes. 72% des 7-19 ans choisissent la BD, les mangas ou les comics comme type de livres préférés. Et si le roman occupait encore la première place des préférences en 2016 (55%), il est désormais loin derrière la BD (53%) et est rejoint par les mangas (40%) dans l’édition 2022.

Devant cette situation, toutes les institutions n’adoptent pas la même position. Les programmes scolaires demeurent très fortement immuables. Et peu importe que les lycéens (et pas seulement les plus socialement défavorisés) adoptent des pratiques de contournement pour échapper à la lecture des classiques par le recours massif à Internet. Les pratiques réelles comptent moins que les pratiques fantasmées dans les programmes aussi exigeants qu’irréalistes. Les CDI ont la capacité à nouer une relation plus authentique (c’est-à-dire dans laquelle ils sont pris en compte pour ce qu’ils sont plus que pour ce qu’ils devraient être) avec les jeunes qui ne sont plus seulement des élèves. De même, les bibliothèques territoriales ne sont pas tenues par des programmes et peuvent vouloir construire une relation de confiance avec les jeunes publics.

Dans ce cadre, les institutions et les personnels qui cherchent à maintenir un lien avec les nouvelles générations peuvent s’appuyer sur les librairies BD/manga. Ces lieux sont fréquentés librement par les jeunes en dehors de leurs parents. Ils trouvent des documents et une écoute qualifiée pour nourrir leurs pratiques conduites à titre personnel. Ces librairies ne peuvent vivre durablement sans savoir établir une relation de confiance avec les jeunes. Leurs demandes sont prises en compte comme en atteste la montée en puissance des mangas par rapport aux BD dans ces établissements. Dans ces conditions, les professionnels de ces librairies accèdent à une connaissance unique des jeunes et de leurs pratiques de lecture. C’est une ressource précieuse pour les bibliothèques territoriales et les CDI. Ils peuvent savoir quelles séries, quels auteurs, quels genres, quelles thématiques sont en train de devenir des références pour ces jeunes. Leur expertise justifie qu’elles reçoivent des commandes publiques ou qu’elles participent à la formation des personnels. Nul doute aussi que le ministère de la culture et le CNL gagneraient à soutenir ces équipements qui remplissent une mission essentielle pour que la lecture ne soit pas le cadre d’un affrontement mais d’un lien entre les générations sans lequel une société perd sa vitalité et son unité.

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