Il emporte toujours avec lui Les Essais de Montaigne, qui lui permettent de comprendre l’universel à travers une histoire personnelle. « Philosopher, c’est apprendre à mourir, disait Montaigne. Mais c’est surtout apprendre à vivre. Ça m’a beaucoup apporté. Comme Proust. »
Le temps, il en a peu, William Jouve. Le conseiller livre bourlingue entre le ministère de la Culture à Paris et la Direction des affaires régionales de Paca, et depuis septembre, préside la nouvelle Association des Conservateurs Territoriaux des Bibliothèques. Ils sont six-cents en France. Leur but : réfléchir en groupe sur l’avenir de la lecture publique, intégrer leur formation au tronc commun de l’ISP (ex ENA) et faire connaître leur métier : des intermédiaires entre la politique, le social et le culturel, et des « managers » de bibliothécaires. Plus moderne que « conservateurs », terme qui « sent la naphtaline », glisse le dynamique homme de 45 ans.
Danse, yoga et livres
Enfant, bercé par le conte des Mille et une nuits, il rêve à deux métiers : bibliothécaire et danseur. Il réalisera les deux. En commençant par le corps : pendant quinze ans, le jeune homme originaire du Gard danse au sein de la compagnie Mobilis-Immobilis. Il danse en région parisienne, en Belgique, en Allemagne, vit trois ans à New York où il s’abreuve d’opéra et de jazz, vaque entre les chants grégoriens et les comédies musicales, sillonne l’art égyptien du musée de Brooklyn Museum et de The Frick Collection. Et au plus haut de sa carrière artistique, décide que c’est le bon moment pour « revenir à [s]es premières amours : le livre, la transmission ».
Déjà diplômé d’un DEA de littérature comparée (français-anglais), inspiré par ses séjours à l’étranger (« où les bibliothèques anglo-saxonnes et scandinaves permettaient autant de lire que de prendre des cours de yoga ou de faire sa carte d’identité. La vache ! »), William Jouve passe son diplôme universitaire des bibliothèques. Ses stages confirment le potentiel des bibliothèques françaises, qu’il perçoit comme « des centres vivants et névralgiques suffisamment plastiques pour accueillir des spectacles, des ateliers, des résidences, des battles ». Le futur haut fonctionnaire parachève sa formation à l’Institut national des études territoriales (Inet), où il côtoie des ingénieurs en chef, des conservateurs du patrimoine et des administrateurs, « des couleurs professionnelles différentes mais qui répondent à une même envie : servir l’usager », discourt-il.
Aménageur de territoire
Premier poste à la médiathèque l’Echo du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). « L’équipe était déjà dynamique, je n’avais pas à évangéliser mes collègues sur le concept de tiers-lieu », précise le directeur, se souvenant d’une animation où les usagers avaient construit un juke box en bois avec les menuisiers de la collectivité. « On tissait les énergies du territoire. » Après les médiathèques de Stains, dans le réseau de Plaine-Commune (Seine-Saint-Denis), il retourne dans le Sud en tant que conseiller livre, archives, économie du livre et langue française à la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) Paca.
Le cœur de sa mission : aménager le territoire. « Un peu comme le fait un préfet, mais sous l’angle culturel », décrit-il, souvent sur le terrain et en relation avec des conseillers théâtre ou musique.
L’artiste construit et rénove, en lien avec les collectivités, les médiathèques et leurs services. Au chapitre économie du livre, il cherche à améliorer — avec le CNL, les éditeurs et les libraires — la visibilité d’auteurs en région, à travers le dispositif de résidences par exemple. Au volet « archives », il travaille sur la construction de bâtiments d’archives, la médiation et la valorisation de leur fonds. Le conservateur accompagne enfin les associations qui mettent en valeur la langue française — lors de concours d’éloquence notamment — comme celles qui soutiennent le patrimoine linguistique provençal et niçois. Ajoutez la danse, qu’il pratique encore en apprenant de nouveaux styles. Un adage de ses professeurs lui revient en mémoire : « Il faut être comme les abeilles : aller sur tous les terrains avec différentes fleurs. Au début je trouvais ça kitch… »
L’abeille a changé d’avis.