Un automne, Jean-Paul Kauffmann, qui s'était spécialisé jusque-là dans les îles lointaines, Kerguelen ou Sainte-Hélène, a décidé de partir, seul - sauf durant quelques jours où un ami photographe, qu'il appelle Milan, l'accompagne - remonter à pied et sac au dos le cours de la Marne. A rebours, de Charenton-le-Pont, où elle se jette dans la Seine, jusqu'à sa source, à Balesmes, Haute-Marne, 525 kilomètres plus loin. Un périple de sept semaines, qui est à la fois "un voyage de retour" à la manière des ethnologues, une réappropriation d'un pays, la France, dont Kauffmann a été privé bien malgré lui durant ses presque trois années de captivité au Liban. Une quête métaphysique personnelle, dans un "état de grâce" permanent, non dénué d'un zeste d'humour. Une petite épopée buissonnière où le chemineau doit chaque jour chercher le vivre et le coucher, vaincre les méfiances et les appréhensions des autochtones face à cet inconnu un peu bizarre et dépenaillé qui note sur un carnet tout ce qu'ils lui racontent, voire les enregistre au magnétophone. Mais ça s'est en général bien passé. Un livre, enfin, de profonde empathie avec les autres, hymne d'amour à cette "France du démeublement" qui, à l'image de la Haute-Marne, souffre et s'éteint en silence, minée par l'urbanisation anarchique, la désertification, la précarité croissante.
Remonter la Marne, pour Jean-Paul Kauffmann, c'est un retour aux sources. Sur les traces de son grand-père alsacien, Georges, combattant les "Boches" en 14. Le petit-fils, tout au long de son parcours, suit le récit d'un certain Jules Blain, "touriste de guerre" qui, entre les deux conflits mondiaux, est retourné sur les hauts lieux du premier. Il salue aussi la mémoire de son père, apprenti boulanger à Vitry-le-François avant de partir s'établir en Bretagne, là où Jean-Paul est né.
Au long du parcours où il le convie, Jean-Paul Kauffmann fait partager au lecteur sa culture encyclopédique. Historique : on revit la fuite pathétique de Louis XVI en 1791, stoppée à Varennes-en-Argonne, ou encore la première retraite de Napoléon, en 1814. Et surtout littéraire : chemin faisant, l'écrivain évoque son ami Jacques Lacarrière, grand marcheur devant l'Eternel, et tous les "régionaux" de ses différentes étapes : de Ronsard, curé commanditaire à Mareuil, en Seine-et-Marne, jusqu'à Diderot, né à Langres, en passant par le Champenois Bachelard, qu'il appelle "mon ange gardien », son cher La Fontaine, illustre Castelthéordoricien, ou encore André Breton qui, durant la Première Guerre mondiale, servit comme médecin à l'hôpital psychiatrique de Saint-Dizier. De quoi le rendre à jamais pacifiste...
Tout comme Kauffmann, qui, dans sa première vie, a frôlé la mort de fort près. De cette expérience dont on ne se remet jamais vraiment, et qu'il n'aborde qu'avec parcimonie, l'homme a tiré modestie et sagesse, celle de carpere diem, coupe de champagne et havane au bec. Et l'écrivain une oeuvre unique, servie par un talent impressionnant.