21 août > récit France

Les objets parlent, nous parlent, Lise Benincà en est convaincue depuis longtemps. L’auteure de Balayer fermer partir (Seuil, 2008) et des Oiseaux de paradis (Joëlle Losfeld, 2011) en a eu la preuve chaque jour au cours des neuf mois qu’elle a passés dans les locaux-entrepôts d’Emmaüs Défi, le chantier d’insertion professionnelle affilié de la communauté, rue Riquet à Paris. Elle s’est installée au cœur du bric-à-brac surréaliste récupéré et mis en vente chaque samedi par l’association, partageant trois saisons durant le quotidien de travail des compagnons chiffonniers, des bénévoles. Un reportage en immersion ? Une expérience d’observation participative ? Non, une résidence d’écriture née de "l’envie de porter la littérature dans un endroit où on ne s’attend pas à la trouver". Dans ce lieu de deuxième vie, elle a proposé aux salariés des ateliers d’écriture, participé à des tournées de collectes, s’est étonnée de voir que "tout finit par se vendre". Et elle a essayé de faire parler les choses, de traquer l’âme des objets inanimés. Chaque semaine, sur un bureau provisoire vendu le samedi suivant, elle a ainsi écrit un texte à lire, autour d’un objet choisi et exposé dans un "frigo-écrin" : éventail en plumes de paon, paire de mocassins, petite cuillère en inox, verre venu d’Iran, boîte aux lettres, cendrier vert, robe de mariée… Parce que les histoires de choses sont des histoires de gens, et vice versa, l’écrivaine a demandé à chacun de se choisir un nom d’objet pour apparaître dans ce récit où le fantôme inspirant de Georges Perec fait de nombreuses apparitions.

Lise Benincà, qui, comme elle le précise dans le livre, ne vit pas de sa plume, semble avoir ajusté son économie littéraire à son sujet : elle n’est pas dans l’esbroufe stylistique, son écriture est empathique, solidaire et humble. Elle n’a pas cherché non plus à fouiller impudiquement les vies. "Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de raconter des histoires, c’est de faire ressentir." Aussi n’épuise- t-elle pas les ressources narratives des récits de chutes, d’exils forcés, de ruptures qu’elle a, elle aussi, collectés, et dont on devine seulement qu’ils auraient pu chacun être la matière de plusieurs romans. V. R.

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