Véronique Olmi a l'âge de ses personnages. La narratrice de son dernier livre a 50 ans et, comme la romancière et dramaturge née à Nice en 1962, les yeux noirs. Ces yeux-là ont enflammé le coeur d'un homme. L'accordeuse de piano a suivi son stagiaire à une fête dans un bar, et danse sans complexe. Il se trouve que Suzanne avait déjà vu Serge lorsqu'elle est allée chez lui pour accorder le piano de son fils. Serge, 60 ans, belle situation, épouse jeune et jolie, deux enfants... Et pourtant, dès qu'il remarque Suzanne, il la veut. Comment expliquer cette attraction ? Qu'a de plus cette femme entre deux âges et physiquement banale ? Elle bouge, transpire, se fout du regard d'autrui, s'inscrit dans le mouvement et la vie : elle n'a pas peur. Cette force, voilà ce qui va ouvrir la brèche dans une existence a priori ordonnée, colmatée par des années de compromissions. Le banal qui bascule dans l'extra-ordinaire est la matière des livres de Véronique Olmi. Dans La pluie ne change rien au désir (Grasset, 2005), une femme abandonne son mari et réapprend le plaisir grâce à une rencontre fortuite ; dans Le premier amour (Grasset, 2010), >l'héroïne, sur le point de célébrer ses vingt-cinq ans de mariage, part retrouver celui avec qui elle connut ses premiers émois. Bord de mer (Actes Sud, 2001), son premier roman, est le récit d'une mère qui tue ses enfants juste après leur avoir payé une fête foraine et des frites. Les protagonistes des histoires d'Olmi sont des funambules au-dessus d'un abîme d'absolu. C'est la passion qui les anime, les transporte, et le lecteur avec eux, dans cette quête de fusion souvent illusoire avec la personne aimée : "L'autre ne peut pas être un médicament."

Nous étions faits pour être heureux, >titre de son roman de rentrée chez Albin Michel, est un vers d'Aragon, "un poète qui n'a jamais cessé de m'accompagner". Si la phrase >trahit cette part de fatalité qui entache toutes relations humaines, "elle rappelle aussi quenous sommes tous faits pour le bonheur". Qu'importe si l'on tombe, "l'amour est toujours un risque", assume Olmi. Ni le couple, ni la maternité, ni le malheur ne sauraient entraver la liberté d'être soi, celle d'aimer l'autre. "Je suis stupéfaite par toutes ces femmes qui s'effacent derrière leur rôle d'épouse ou de mère, moi j'en suis incapable." On l'aura compris, Véronique Olmi est du genre entier. >A 18 ans, elle quitte Aix-en-Provence et son "milieu bourgeois catholique" (son grand-père fut secrétaire d'Etat et député des Alpes-Maritimes, et elle est la cinquième d'une fratrie de six) pour faire du théâtre à Paris. Le covoiturage la dépose la nuit en pleine banlieue. "Je suis arrivée le jour de la mort de Joe Dassin", se souvient-elle. La référence à la variété n'est pas anodine. Jonasz, Souchon, Bashung, France Gall... "La chanson française qui raconte", c'est pour Olmi l'émotion vraie : tout ce qu'elle aime et essaie de faire passer dans ses oeuvres, ces fausses bluettes borderline. Plus tard, mariée et installée dans le sud de la France, elle "se sauve" de nouveau, direction la capitale. Il s'agissait de "se sauver, dans tous les sens du terme" - la fuite et le salut.

Femme de théâtre

Celle qui prit des cours auprès de Jean-Laurent Cochet, professeur entre autres de Depardieu et de Luchini, ne percera pas en tant qu'actrice mais comme dramaturge. Point à la ligne, qu'elle écrivit parce que le médecin lui avait interdit de bouger pendant sa grossesse et qu'"[elle] ne savai[t] pas tricoter", est monté au Vieux-Colombier. La femme de théâtre trace parallèlement une voie dans la fiction. Elle demeure toutefois fidèle aux planches : Véronique Olmi est directrice artistique du festival Le Paris des femmes, >consacré au théâtre féminin. Et dans ses romans, elle ourdit des situations dignes de la mécanique infernale des tragédies. Histoire d'adultère qui tourne mal, Nous étions faits pour être heureux est aussi un livre sur la filiation et les meurtrissures de l'enfance, et c'est surtout un formidable roman d'amour. "Je l'aime encore. Je l'aimerai toujours, avoue la narratrice. Même lorsque je n'aurai plus aucun sentiment, quand tout m'aura quitté, j'aimerai Serge. [...] C'est un mystère d'aimer cet homme égoïste, et de l'aimer de tout mon être. C'est un mystère d'aimer ce qui est imparfait et douloureux." Véronique Olmi, quant à elle, a été "une grande amoureuse", mais assure qu'elle ne l'est plus. C'est vrai, ce mensonge ?

Nous étions faits pour être heureux, Véronique Olmi, Albin Michel, 240 p., 18 euros, ISBN : 978-2-226-24297-6, à paraître le 22 août.

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