4 février > roman Turquie

"Dans la vie, notre véritable maître, notre mürsit, est le temps." S’il est impossible de le maîtriser, l’écrivain peut parfois le recomposer à sa façon. Nedim Gürsel est l’une des grandes voix de la littérature turque. Son œuvre contient des nouvelles, des récits, des essais et des romans. Il est l’auteur de L’ange rouge (Seuil, 2012, prix Méditerranée étranger, qui paraît chez Points) ou des Filles d’Allah (Seuil, 2012), qui lui a valu des démêlés avec la justice de son pays car il a été jugé blasphématoire.

Ce n’est pas la première fois que Nedim Gürsel est accusé de bafouer la religion ou la morale. Malgré son attachement à la culture française, l’exil reste douloureux pour ce directeur de recherches au CNRS, qui enseigne à l’Inalco, l’institut des langues orientales. Tout comme lui, son nouveau héros a "connu l’exil et le mal d’amour". "Mais, dit-il, je n’aurais jamais songé à vous raconter mon histoire."

Le roman, dont le titre s’inspire de La fille du capitaine de Pouchkine, est construit en flash-back, comme si le narrateur était un derviche-tourneur, hanté par son passé, celui d’un garçon qui perd sa mère. Son père préfère le mettre en pension. Une décision ressentie comme un abandon supplémentaire. Il faut dire que cet homme taciturne a d’autres ambitions. Colonel, il "s’empare du pouvoir" en 1960, devient une légende qui tente de "révolutionner une grande nation. Il fit don de sa vie à la Turquie", estime son fils, obnubilé par cette figure paternelle, avec laquelle il ne parvient pas à tisser un lien. Grandir implique toutefois de regarder la réalité en face. "Mon père est marié avec la boisson." Loin d’être un héros, il a usé de la violence pour parvenir à ses fins. La politique influence les destins…

Il en va de même de l’amour, surtout s’il est interdit. Pour le narrateur, il prend le visage de la mère de son meilleur ami. "C’est donc ça, l’amour, à la fois tendre comme les gros flocons, violent et impitoyable comme une tempête de neige." Emporté, le protagoniste perd pied. "Je n’étais plus tout à fait un enfant. Mais dans mon esprit, je n’étais pas encore un homme." Aussi se cherche-t-il perpétuellement entre Istanbul et Paris, hier et aujourd’hui.

Avec ce roman foisonnant, Gürsel désire comprendre le cheminement d’une existence. En quoi la famille, les événements d’un pays ou les souvenirs d’enfance façonnent-ils un être ? "Je sais maintenant qu’on perd sa vie à vouloir la gagner." L’important n’étant pas de la revisiter, mais de la vivre en se réconciliant avec soi-même. Kerenn Elkaïm

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