16 octobre Histoire France

Le « méchant » est souvent plus intéressant que le « bon ». Ainsi, la judicieuse idée dans ce cinquantenaire de l’assassinat de Kennedy, c’est Richard Nixon ! A l’image de l’Amérique rêvée, dynamique et people, il oppose l’Amérique cynique et cachottière. Par ses coups tordus, l’homme d’acier a pendant un quart de siècle imposé un style à l’exercice du pouvoir outre-Atlantique. Il a aussi, à sa manière, façonné la vision que ce pays voulait donner de lui-même.

Antoine Coppolani- Photo DR/FAYARD

Comment ce fils d’épicier californien, nourri de religion quaker, est-il devenu le 37e président des Etats-Unis ? Pourquoi la postérité a-t-elle retenu de lui l’image d’un Droopy maléfique, anticommuniste au sourire de Politburo, qui savourait à chaque instant ce qu’il dissimulait aux journalistes qu’il détestait autant que les psychiatres ? C’est ce que nous explique cette biographie « king size » qui, si elle n’épuise pas le sujet, met la barre assez haut pour les successeurs.

Antoine Coppolani a sondé les mémoires, les biographies et les archives pour ce vaste travail de recherche. Professeur à l’université Paul- Valéry-Montpellier-3, spécialiste de l’histoire politique des Etats-Unis depuis 1945, il brosse un portrait réaliste du personnage qui a fini par se confondre avec son ombre au point d’incarner le côté obscur de l’Amérique et celui du parti républicain.

Nixon se prétend sans culture - une coquetterie qu’il partage avec Jacques Chirac -, alors qu’il a une idée bien précise de la politique puisée dans la lecture des classiques. C’est le cas de son « principe d’incertitude » qui ne renvoie pas à Heisenberg mais consiste à terroriser l’adversaire en jouant sur l’effet de surprise et sur la violence. Mais ce Nixon populaire dans les sondages, du moins avant le Watergate, apparaît surtout comme un homme seul, donc en mauvaise compagnie, barricadé dans son Bureau ovale.

Un étrange desperado - c’est l’autre personnage fascinant du livre - accompagne Nixon jusqu’à sa chute. Henry Kissinger est l’un des rares à se mettre au service de celui qu’il qualifie d’« incarnation du Diable en politique ». Un curieux mariage de raison entre ce président misanthrope et antisémite, ami d’Israël dans la guerre du Kippour, et ce conseiller sociable qu’il considère comme son « petit Juif ». Ces deux anticommunistes ont pourtant fait sortir la Chine de son isolement international, mis fin à la guerre du Vietnam dans les conditions les moins pires selon Coppolani, mais ont aussi étouffé le Chili d’Allende, toujours par peur de l’URSS. Le jugement de Neruda sera sans appel : « Nixon accumule les péchés de tous ceux qui le précédèrent dans la félonie. »

Dans cette ambiance de guerre froide, Nixon inaugure le début de la tentation du secret, comme l’a montré le scandale du Watergate qui l’a contraint à la démission lors de son second mandat, secret qui continuera jusqu’à George W. Bush avec les fausses armes de destruction massive destinées à justifier la guerre en Irak. Nixon a marqué l’histoire américaine, sans doute bien plus que Kennedy qui n’a pas eu le temps de montrer ce qu’il ne fut pas… Son bilan politique serait donc moins haïssable que cet homme que l’on aimait détester. A ce titre, le travail d’Antoine Coppolani est non seulement exemplaire, il est indispensable pour comprendre les ressorts profonds de l’Amérique d’aujourd’hui.

Laurent Lemire

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