25 AOÛT - ROMAN Etats-unis

Pas facile d'oublier le choc de la lecture de Sukkwan Island, le premier roman, d'une noirceur sauvage, de David Vann qui a connu un succès aussi considérable (prix Médicis étranger notamment) que mérité. Alors, bien sûr, on entre dans ce deuxième livre avec autant d'impatience que d'appréhension puisque son titre, Désolations, ne fait pas mystère de ce qui attend le lecteur, qui va retrouver là l'Alaska et ses îles sans habitants, la cabane en rondins isolée, le huis clos suffocant...

Gary et Irene, la cinquantaine avancée, ensemble depuis trente ans, habitent une maison près d'un lac dans la Kenai Peninsula. Ils ne sont pas du coin et se sont rencontrés en Californie pendant leurs études : lui, "doctorant médiéviste", tentait de finir une thèse à Berkeley ; elle était une jeune institutrice de maternelle. Venu pour de simples vacances en Alaska, le couple a fait sa vie là. Rattrapé par un vieux fantasme de pionnier, sans compétences de trappeur, Gary veut aujourd'hui jouer les Walden et leur construire de ses mains une cabane en bois sur une île au milieu d'un lac. Irene, parano ou plus lucide, pense que c'est le moyen qu'a trouvé son mari pour la quitter sans le lui annoncer.

Dès le début - une scène d'ouverture calmement terrible, comme sait les écrire David Vann -, on voit bien que tout ça est mal engagé. L'acheminement des rondins sous la pluie, dans un bateau qui prend l'eau, est à lui seul l'image du drame annoncé. D'autant qu'Irene se met à souffrir d'une "douleur terrible derrière l'oeil droit" aussi inexpliquée qu'insoutenable.

Evidemment, l'effet de découverte est moins fort que la première lecture. Peut-être moins estomaquant, moins asphyxiant aussi, Désolations est plus sophistiqué dans la violence qu'il distille, répartie sur plusieurs couples. Et si le plus âgé, celui formé par Irene et Gary, tanné par des années de projets avortés et de couleuvres avalées, incarne l'impasse la plus évidente, les plus jeunes ne sont guère plus brillants : Rhoda, leur fille, qui travaille chez un vétérinaire, nourrit à 30 ans des rêves un peu fleur bleue de mariage à Hawaï avec Jim, 41 ans, dentiste, qui s'empêtre dans une liaison sexuelle avec la très jeune et très gâtée Monique, une touriste de passage venue de Washington, accompagnée de Carl qui n'a plus un sou et se morfond... Tandis que Mark, le fils, pêcheur saisonnier, forme avec Karen, serveuse, la paire locale type.

David Vann campe une nouvelle fois des hommes immatures aux désirs impossibles à combler, pathétiques dans leurs efforts à poursuivre des rêves éventés, dans leur quête de virginité perdue, avec ce besoin de virilité bâtisseuse qui attendrit parfois leurs compagnes. "Pourquoi ne peuvent-ils pas se contenter d'être des hommes ? Pourquoi sont-ils obligés de le devenir ?"

La dureté naît de la façon dont l'écrivain pointe toutes les perches non saisies, un geste ou une parole, une excuse ou un mouvement d'attention spontanée, qui pourraient infléchir le cours fatal des choses, apaiser les frustrations, mais qui ne viennent pas, ou trop tard. Et qui deviennent implacablement des flèches mortelles. C'est désespéré mais tragiquement prenant.

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