Si la culture était un fleuve, le ministère de la culture en serait les sédiments. Il se compose ainsi de ce que l'histoire de l'art et les autorités politiques ont fini par constituer comme tel. La direction du livre et de la lecture n'a par exemple pas été immédiatement créée. Il a fallu des conditions très particulières et la mobilisation d'acteurs pour qu'elle voit le jour et obtienne les moyens d'exister. C'est notamment la préoccupation collective face au devenir de la lecture, à l'époque du développement de la télévision, qui a pu mobiliser la collectivité. Écrasée par le flux des images, la lecture a donc fini par se sédimenter pour former une direction qui a d'abord voulu sauver le support (le livre) plutôt que la pratique (la lecture) puisqu'il faut attendre 1982 pour que la direction du livre devienne la direction du livre et de la lecture. La mise en question de Lire en fête s'inscrit dans le prolongement de la disparition annoncée ( Lvoir actualité Livres Hebdo sur le sujet ) de la direction du livre et de la lecture. Comment interpréter cette évolution ? Bien sûr on peut retenir la thèse de l'abandon libéral de cette politique (Cf. voir blog de François Bon ) mais on peut aussi y voir le résultat de multiples évolutions. Le politique s'arroge légitimement le droit de remuer les sédiments et de recomposer la manière d'accompagner le fleuve. On peut aussi considérer que la lecture n'est plus menacée. Malgré les discours alarmistes et grâce à l'Ecole, l'illettrisme reste très largement marginal et circonscrit à des catégories étroites de population (migrants, personnes âgées). De façon plus précise, le fleuve charrie certes beaucoup d'écrans de télévisions mais aussi d'ordinateurs. La culture d'Internet est aussi une culture qui mobilise l'écrit et concurrence la télévision (faut-il créer une fête de la télévision ?). La lecture au sens de Lire en fête (lecture sédimentée) entre en décalage avec les pratiques croissantes des lecteurs qui se tournent beaucoup vers des écrans. Peut-on célébrer une pratique en la figeant dans un support alors qu'elle s'inscrit dans tant d'autres dispositifs techniques ? Avec cette manifestation, n'étions-nous pas dans une forme de détournement (pointé par N. Heinich dans d'autres secteurs de la culture), consistant à soutenir la création à travers une apparente politique de démocratisation ? Dans sa forme actuelle, plus que la lecture, la fête mettait largement en avant les auteurs, éditeurs et plus généralement les intervenants de la chaîne du livre. Sans doute faut-il revenir aux questions premières : pourquoi célébrer la lecture ? Quelle est la définition de la lecture mise en avant ? Comment fêter une pratique largement définie par sa dimension solitaire ? Est-ce que la célébration du livre, de l'auteur, des éditeurs relève bien de la promotion de la lecture ? Comment fêter la lecture c'est-à-dire l'expérience réelle du lecteur ? De bien belles questions qui supposent du temps... de la sédimentation.
15.10 2013

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