Sorti en France en décembre 1977, Les nouveaux monstres est un film à sketches comme il s’en concevait beaucoup à l’époque réalisé par la fine fleur de la comédie à l’italienne, Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola. Dans cette farce réjouissante et plus tragique qu’il n’y paraît (et illuminée par le visage de madone envapée d’Ornella Muti), le sexisme, la classe intellectuelle, la mainmise de l’Eglise et de la Démocratie chrétienne, en prennent pour leur grade. Un pays s’y meurt dans des convulsions atroces et rigolotes…
Ce pays a continué de mourir. Simplement, à l’agonie qui n’était plus celle, élégante, des capitaines d’industrie et de Cinecitta, a succédé celle d’un pandémonium constitué de saltimbanques cathodiques, de mafieux et de banquiers véreux. C’est moins chic et tout aussi atroce. Alors, pour dire quelque chose de ce désastre, après l’admirable Dolce vita : 1959-1979, Simonetta Greggio poursuit l’exploration de sa petite boutique des horreurs avec Les nouveaux monstres :1978-2014. Le livre ne doit rien en noirceur, ni à celui qui l’a précédé, ni au film homonyme. On y retrouvera Valerio, l’enfant illégitime des Valfonda, "jésuite, pédé et espion", demi-frère du prince Malo, dont la mort clôturait le volume précédent et dont l’enterrement ouvre celui-ci. Aux côtés de sa petite-cousine Aria, une jeune journaliste, fille sans vraiment le savoir des années de plomb, Valerio traversera ces temps où le pays a basculé dans l’horreur autant que d’un siècle à l’autre. Voici que surgissent à l’appel du souvenir les Brigades rouges, la loge P2, le Banco Ambrosiano, les habits neufs de la Démocratie chrétienne, le Vatican coffre-fort de la Mafia et, dominant ce paysage désolé, la figure affable et terrifiante de Silvio Berlusconi. Parfaitement maîtresse de ce maelström où la chronologie est bousculée et le mal la seule cohérence, Simonetta Greggio, moderne Cendrillon de conte défait, mène son affaire comme un Truman Capote qui parviendrait au terme de Prières exaucées… Chez elle, la vie est un songe, l’Italie aussi. Le plus atroce et délicieux des rêves. O. M.