On croisait peu de badauds à Livre Paris, du 24 au 27 mars. Dans un format légèrement resserré, tendant vers le modèle du festival, la manifestation a attiré des publics divers, de tous âges, mais qui savent exactement pourquoi ils passent leur week-end enfermés au parc des expositions de la porte de Versailles quand le soleil brille au dehors.
Lecteurs engagés ? Fins connaisseurs ? Les éditeurs exposants comme les organisateurs du salon, le Syndicat national de l’édition (SNE) et Reed Expo, tombent d’accord sur la définition : "des passionnés", souligne Sébastien Fresneau, directeur de Livre Paris. Baptiste Renault, directeur commercial du groupe La Martinière, observe que "des lecteurs sont venus avec des listes de livres à acheter, d’autres se sont mobilisés pour leurs auteurs préférés mais, en général, tous se sont déplacés dans un but précis, laissant ainsi moins de place à la flânerie". Plusieurs éditeurs le confirment, remarquant des passages en caisse de plus en plus sélectifs. "Il y a peu d’achats d’impulsion et d’ailleurs, on met de moins en moins de fonds sur le stand", indique Jean-Marc Levent, directeur commercial de Grasset.
En chiffres, la fréquentation de Livre Paris a tourné autour de 160 000 visiteurs, soit 3 % de plus qu’en 2016 (155 000), où elle avait été affectée par la répercussion des attentats. Cette progression ne permet cependant pas au salon de retrouver son niveau de 2015 (182 000 visiteurs). Le beau temps mais aussi le changement d’heure dans la nuit de samedi à dimanche ont handicapé la manifestation. Selon la plupart des exposants, sur le plan commercial, le vendredi a été l’un des meilleurs de toute l’histoire du salon. Le samedi est resté fort tandis que le dimanche a subi un léger ralentissement d’affluence.
Espace resserré
Les visiteurs ont cependant arpenté les allées d’une manifestation à la surface un peu réduite. "L’absence du stand de la région Paca ainsi que la disparition du déjeuner des libraires nous ont poussés à resserrer l’espace", admet Sébastien Fresneau. Le nombre d’exposants est resté stable (1 200). Mais Livre Paris reste boudé par de nombreux éditeurs non négligeables comme Fayard, Stock, Calmann-Lévy/Kero, Michel Lafon, Eyrolles, Odile Jacob, La Découverte, Sarbacane, Viviane Hamy, Philippe Rey ou Liana Levi. Le salon donne un sentiment de compacité lié à l’effet des regroupements de maisons au sein d’un même groupe, tels Editis, Madrigall ou Actes Sud, ou sur le stand de leur région d’origine.
Amazon s’est assumé
D’autres exposants ont trouvé leur espace. Amazon s’est assumé sous son nom après s’être aventuré au salon les années précédentes sous la marque Kindle. Humensis apparaît pour la première fois en tant que tel avec ses maisons Belin, Puf et les toutes nouvelles éditions de l’Observatoire. Lumen, spécialisé dans la littérature pour adolescents et jeunes adultes, a doublé la surface de son stand, comme son chiffre d’affaires, porté par un public de geeks passionnés très présent cette année. "Nous avons fait un effort pour thématiser le salon et répondre ainsi aux attentes de publics spécifiques", rappelle Sébastien Fresneau.
Car le public n’est pas venu par hasard. En quête d’orientation, les étudiants se sont déplacés en masse pour découvrir les coulisses de l’édition via un programme qui, pour sa première année, remporte un franc succès. Ils ont privilégié les rencontres très pratiques sur les différents métiers par rapport aux cours magistraux dispensés par des figures de la profession, mais le bilan est positif pour Pierre Dutilleul, le directeur général du SNE : "Voir la scène professionnelle remplie à chacune des présentations, c’est plus que plaisant : cela veut dire que nous répondons à un vrai besoin", se réjouit-il. De leur côté, les enseignants ont bien accueilli les ateliers et les animations dédiés à leurs élèves, comme Short édition, le distributeur d’histoires courtes.
Se rendre porte de Versailles, c’est aussi voir la littérature en live. Près de 300 personnes ont assisté à la conférence autour de Delphine de Vigan dont le dernier roman, D’après une histoire vraie (Lattès), sera porté à l’écran par le réalisateur Roman Polanski, en tournage pendant le salon et également présent sur la Scène littéraire avec Olivier Assayas, coscénariste du film. Et pour prolonger le temps de visite de ces lecteurs venus spécialement pour une ou deux rencontres, une séance de dédicaces était accolée aux débats. "Cela rend l’événement plus cohérent", se félicite Véronique Cardi, directrice générale du Livre de poche, au stand duquel Delphine de Vigan a dédicacé son roman, paru en poche en janvier.
Les politiques en campagne
Autres visiteurs à avoir un but précis : les politiques en campagne. Outre le président de la République, François Hollande, qui, pour la fin de son mandat, a passé plus de deux heures ponctuées de blagues à parcourir Livre Paris, ce sont surtout les candidats à son poste qui se sont succédé. Vendredi, Jean-Luc Mélenchon a ouvert le bal, suivi du populaire Emmanuel Macron mais aussi de Nicolas Dupont-Aignan. Samedi matin, avant que Benoît Hamon ne vienne dédicacer, la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, a parcouru les allées en compagnie du Premier ministre, Bernard Cazeneuve. Elle a salué l’introduction d’un passe Grand Lecteur et la gratuité pour les moins de 18 ans.
En mettant à l’honneur le Maroc, le salon a là aussi réussi à capter un nouveau public. Pour le libraire Yacine Retnani, gérant du pavillon d’honneur, cette invitation a été l’occasion de "casser les idées reçues sur le Maroc et le monde arabe" en proposant un choix de livres "très diversifié" qui mêle les genres et les langues. Le restaurant marocain et les débats n’ont pas désempli. "Cela a profité à d’autres stands, comme celui de la Roumanie", estime Sébastien Fresneau.
Non loin, le pavillon des Lettres d’Afrique a également "fait un carton", assure Karl Lawson, consultant de Hopscotch Africa et membre de l’équipe d’organisation. Portée par ce succès, la présidente du pavillon, Aminata Diop Johnson, anticipe déjà la présence d’une quinzaine de pays africains l’an prochain. Sébastien Fresneau, va plus loin : "Nous envisageons d’inviter d’autres pays auxquels correspondent en France des communautés de Français qui en sont originaires et qui sont désireuses de découvrir des approches littéraires différentes."I. C.
Comme une romance
Inspiré par le succès de la romance et de la littérature young adult, Livre Paris a fait pour la première fois la part belle à des auteurs qui attirent un large public de jeunes femmes.
Le salon a été pris d’assaut, vendredi et samedi, par les fans de romance et de littérature young adult, venus rencontrer et écouter leurs auteurs fétiches. La tête d’affiche de Milady, la romancière britannique Jojo Moyes, a patiemment dédicacé ses livres à plus de 300 personnes avant de monter samedi après-midi sur la scène littéraire avec la star de la romance à la française, Emily Blaine, auteure chez Harlequin.
C’est la première fois que le programme du salon incluait une conférence sur la romance. "C’est un marché éditorial et commercial important", rappelle Evelyn Prawidlo, programmatrice de Livre Paris, qui aimerait "imaginer" d’autres formats pour les années à venir. Plus de 200 personnes, essentiellement des femmes, ont répondu présent à ce premier rendez-vous placé sous le signe des histoires d’amour. "Nous avons vendu plus de 400 ouvrages de Jojo Moyes au cours des trois jours !" se félicite Leslie Palant, directrice de la communication de Milady. Même enthousiasme chez Harlequin, pour qui la venue d’Emily Blaine n’a pas été le seul point fort de cette 37e édition de Livre Paris. "Nous avons dû improviser des séances de dédicaces pour deux de nos auteures, Louisa Méonis et Cécile Chomin, tellement les fans étaient nombreuses", raconte Antoine Duquesne, directeur du marketing d’HarperCollins France, dont Harlequin fait partie.
Les littératures de genre ont été volontairement mises en avant cette année afin d’attirer un public plus jeune, assument les organisateurs de Livre Paris. "Dans ce sens, nous avons aussi décidé d’accorder une place plus importante aux blogueurs, très suivis sur les réseaux sociaux et fins spécialistes", ajoute Sébastien Fresneau, le directeur du salon. Plus de 200 blogueurs auraient été accrédités: ils répondaient tous aux critères établis par une charte élaborée cette année par la manifestation.
Foules
Romance, imaginaire, science-fiction mais aussi littérature pour adolescents et jeunes adultes ont séduit les visiteurs. Les foules se sont déplacées samedi pour l’Américaine Rainbow Rowell, auteure chez Pocket Jeunesse de romans pour adolescents, qui a signé deux fois deux heures ses deux ouvrages, Carry on et Eleanor & Park. "Nous avons également organisé une rencontre avec les blogueurs en dehors du salon", précise Bénédicte Gimenez, responsable de la relation libraires et lancements chez Univers Poche. Sur la scène littéraire, Livre Paris a également invité pour la première fois trois auteurs français du segment dont Victor Dixen, créateur de la série à succès Phobos, éditée par Robert Laffont dans sa collection "R", créée en 2012. Cette conférence intitulée "Imagine : les jeunes adultes prennent le pouvoir" a réuni plus de 250 intéressés, selon Evelyn Prawidlo.
Samedi soir, sur le stand de Lumen, les libraires ont dû trouver assez de réassorts de The curse de Marie Rutkoski pour tenir le dimanche. L’ouvrage s’est vendu à 285 exemplaires selon l’éditeur, qui se réjouit d’un chiffre d’affaires en hausse de 50 % par rapport à l’an dernier. I. C.
D’autres libraires dans les stands
Du jamais vu dans l’histoire du salon Livre Paris, une librairie étrangère tenait cette année la librairie du pavillon du pays invité d’honneur, le Maroc. Une demande du gouvernement marocain, qui a ensuite choisi d’en confier l’organisation au Carrefour des livres, la librairie indépendante de Casablanca dirigée par Yacine Retnani (1). "Avec 17 palettes de livres venues du Maroc et 10 autres de France, nous avons pu proposer une offre variée tant en français qu’en arabe, ce qui a été très apprécié par nos visiteurs", se félicite le jeune et dynamique libraire, qui ne communique pas pour autant ses chiffres de vente.
Pour sa part, traditionnellement présent avec un stand France Loisirs, Actissia a pour la première fois fortement développé sa présence en gérant aussi les cinq Squares thématiques du salon, ce qui l’a conduit à mobiliser près de 100 personnes au sein du groupe, dont plus de 50 issues des boutiques France Loisirs.
Habituée de la manifestation, Folies d’encre (Montreuil) a aussi pris du volume, puisque, à côté des offres pour France TV et Livre Audio, la librairie s’occupait cette année du grand pavillon des Lettres d’Afrique.
Parmi les nombreux stands d’éditeurs tenus par des libraires, on observe quelques renouvellements. Le Furet du nord était chargé pour la première fois des stands de Place des éditeurs, Cherche Midi et Univers Poche.
Parmi les nouveaux libraires présents figuraient aussi Les Beaux Titres, à Levallois, pour Lattès et Le Masque, ou Dédicaces, à Rueil-Malmaison, qui tenait le stand de Radio France. "Notre présence est liée au fait que nous tenons depuis septembre la petite librairie créée au sein de la Maison de la radio, explique le patron de Dédicaces, Fabrice Blondeau. Le salon de Paris faisait partie du package !" C. N.
(1) Voir LH 1078 du 25.3.2016, p. 25.