"Notre époque est peut-être celle d'une épidémie des choses." La première phrase donne le ton. On voit que Tristan Garcia n'est pas qu'un philosophe passé par Normal sup, auteur d'une thèse dirigée par Alain Badiou. C'est aussi un écrivain qui a reçu en 2008 le prix de Flore pour son premier roman, La meilleure part des hommes (Gallimard). Il a donc le sens de la formule et le goût des mots.
Dans son deuxième roman, Mémoires de la jungle (Gallimard, 2010), l'un des plus littéraires de nos jeunes philosophes racontait les soubresauts du monde et les rapports que nous entretenons avec les choses. Avec Forme et objet, voici donc en quelque sorte la matrice de sa réflexion, le lieu de ses lectures et de ses influences autour de ces fameuses choses qui envahissent le monde et qui ont besoin qu'on les ordonne un peu.
En deux parties, Tristan Garcia avance pas à pas, à la façon d'un Wittgenstein. Il énonce ses propositions, les développe puis passe à l'étape suivante. Cela donne : "1. Ce qu'on appelle le monde est la forme des choses. 2. Si la forme d'une chose est sa condition, elle est toujours en même temps son contradictoire, puisqu'elle est une non-chose." Et ainsi de suite.
Toutefois, l'ouvrage ne se limite pas à ces propositions. Tristan Garcia les discute abondamment dans la première partie. Dans la seconde, il aborde les grandes notions (l'univers, le temps, l'art, la culture, l'histoire, les animaux, la mort, etc.), toujours sous l'angle de sa métaphysique des choses.
"Si la philosophie a cru la sagesse susceptible de produire une conscience, une compréhension rationnelle qui augmenterait d'autant notre être dans le monde, alors elle a échoué en ce sens qu'elle n'est qu'une manière comme une autre d'être en ce monde."
S'il modère les capacités de la philosophie, il n'en montre pas moins la richesse. A l'image de son livre, qui embrasse large sans jamais se disperser en maintenant le regard sur les choses et les objets, sur la manière de les comprendre dans le monde et dans l'univers. La tâche est immense, mais ce jeune philosophe de 30 ans montre que la pertinence d'une pensée se mesure aussi à son ambition. On ne peut aller loin que si on le souhaite vraiment. Il redonne aussi un peu de lustre à ce qu'on nomme la métaphysique en montrant qu'on peut exprimer des idées complexes avec un langage qui privilégie tout de même la clarté. Une sorte de "monde, mode d'emploi", où chacun est invité à en faire l'usage qui lui convient.