Instantanés de Justice

Lutte des classes judiciaires et bienveillance juridictionnelle

L'anonyme et la justice - Photo Olivier Dion

Lutte des classes judiciaires et bienveillance juridictionnelle

La 17e chambre du tribunal de Paris, ou chambre de la Presse, a gagné le surnom de tribunal médiatique du fait des personnalités qui y défilent. Mais elle voit également défiler des journalistes, auteurs ou influenceurs mal préparés à cet exercice particulier.

J’achète l’article 1.5 €

Par Vincent Ollivier
Créé le 08.12.2024 à 23h17

Dans les audiences de la 17e chambre, il y a deux types de justiciables. Il y a ceux que l’on connaît, précédés souvent d’un cortège de caméras et de micros, qui entrent dans la salle d’audience escortés par des avocats que l’on connaît presque autant qu’eux et qui arborent, selon leur position dans la procédure, l’air triomphant et vertueux de celui qui attend de voir justice rendue ou, au contraire, la mine contrite et effacée de celui qui se demande s’il n’aurait pas dû avoir la langue ou la plume moins légère.

Ils sont défendus par des professionnels expérimentés, de ceux qui connaissent tous les arcanes procéduraux, qui savent trouver dans le mur de l’accusation la faille qu’ils élargiront jusqu’à ce que la construction qui paraissait pourtant si solide s’effondre à leurs pieds. Et puis, derrière cette flamboyante mais réduite cohorte médiatisée, piétine le troupeau des sans-grades, des anonymes, de ceux dont personne ne s’est véritablement fait l’écho des propos qu’ils ont tenus, lesquels n’ont au demeurant, la plupart du temps, offensé que celui qui les a traînés jusqu’au prétoire.

Le plus souvent de simples particuliers qui ont un usage problématique des réseaux sociaux ou des influenceurs (actuels ou en devenir) qui ont trop recherché à accroître leur audience en s’affranchissant de la prudence requise. Ils restent sagement assis sur les bancs du public, à l’évidence égarés par le spectacle qui se joue devant eux, dont ils ne saisissent pas grand-chose et qui les effraie à proportion de son hermétisme.

À justiciable anonyme, conseil incertain

Ils sont parfois seuls, ayant pris le parti (souvent financièrement motivé) de ne pas se faire assister d’un conseil. Lorsque ce n’est pas le cas, ils sont flanqués d’un avocat dont on sent, à le voir, qu’il ne sait pas trop ce qu’il fait là, qu’il a pris le dossier à l’issue d’un choix (souvent financièrement motivé) qu’il regrette à présent. Il avance puis recule, s’apprête à prendre la parole mais renonce, incertain de ne pas dire une bêtise, aussi tétanisé que son client devant une réalité judiciaire qui lui est presque aussi étrangère qu’à lui.

Lorsqu’il intervient, c’est à contretemps, posant des questions inutiles, soulevant des points sans intérêt, démontrant ainsi sa parfaite méconnaissance de la matière. Il récolte ce faisant les regards tantôt apitoyés tantôt méprisants du tribunal, lequel sait l’origine de son malaise et, parfois, ne peut résister à la tentation de s’en amuser, avec des plaisanteries cryptiques qui ne font pouffer que lui, l’avocat de son adversaire et les quelques initiés présents dans la salle d’audience. Ce n’est cependant pas toujours une mauvaise tactique que de s’entourer d’incompétence.

Quand le juge vient au secours des indigents judiciaires

Il arrive en effet que la juridiction s’émeuve de voir comparaître devant elle quelqu’un de si mal défendu, quelqu’un dont le conseil n’a pas su discerner dans une procédure une nullité aussi visible que la sienne, le moyen de défense qui saute aux yeux ou l’élément de contexte évident qui renverserait la perspective que l’on peut avoir de l’affaire. Elle décide alors parfois de pallier l’insuffisance de la robe noire et de se faire, à sa place, l’avocat de son client.

Elle soulève d’autorité les points qui lui avaient échappé, interroge l’adversaire avec une ténacité dont, soucieuse de ne pas prêter le flanc à l’accusation de partialité, elle s’abstient d’ordinaire, évoque avec conviction des jurisprudences remontant aux siècles précédents pour mettre en cause la pertinence de l’argumentaire adverse. Elle s’occupe ainsi, bénévolement, des intérêts d’un justiciable, comme une âme charitable recueille au bord de la route un caneton abandonné par sa mère et lui offre ainsi une chance de survie.

Souvent, alors, la décision qui est rendue ensuite est bien plus favorable à celui que les juges ont pris, même inconsciemment, le parti de protéger, qu’elle ne l’aurait été si sa défense avait été convenable. L’avocat se félicitera alors avec son client de l’excellent résultat que leur travail commun leur a permis d’obtenir et, en son for intérieur, se dira que le droit de la Presse n’est finalement pas si ardu, qu’il avait tort de s’en faire une montagne.

Il affichera son succès sur les réseaux ainsi que dans les dîners et, sans doute, obtiendra ainsi la confiance d’un nouveau client. Confiant dans son talent, il préparera aussi peu cette seconde audience que la première et, les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, obtiendra un résultat équivalent, qui confortera sa réputation naissante. Ainsi naissent parfois les carrières.

Vincent Ollivier

Olivier Dion - Vincent Ollivier

Les dernières
actualités