Entretien

Vous avez raconté en BD la campagne de François Hollande puis un an à ses côtés à l'Élysée, suivi Emmanuel Macron dans ses déplacements présidentiels, vous publierez en mai une BD collective sur les coulisses de la campagne 2022*... D'où vient ce goût pour l'immersion politique ?

Cela a démarré un peu par hasard. Une occasion m'a été donnée d'observer ce milieu, au moment de la campagne présidentielle de 2011. D'abord en suivant la rédaction de Libération, pile au moment de l'affaire DSK, ce que j'ai trouvé passionnant. Et quand le directeur de la rédaction m'a demandé quels étaient mes projets, assez naturellement, j'ai dit que cela m'intéressait de suivre la campagne. J'ai choisi François Hollande car il me paraissait avoir le plus de chances. À l'époque, l'énorme succès de Quai d'Orsay, de Christophe Blain et Abel Lanzac, m'a aidé. Mais j'ai dû être convaincant. Onze ans plus tard, les équipes nous accueillent à bras ouverts, mais j'ai moins cette position de petite souris que personne ne voit, je suis plus identifié aujourd'hui. Je suis donc ravi d'écrire ce nouveau livre à plusieurs, et de passer la main.

Certaines choses continuent de vous fasciner auprès de ces gens-là ?

D'abord, les campagnes ne se ressemblent pas. Celle-ci est assez inédite, il y a beaucoup de déperdition d'énergie, si l'on regarde Christiane Taubira, ou l'état du PS par exemple. Ça, cela me surprend, comment on ne met pas de côté les batailles d'ego pour construire un projet. J'ai pris goût au documentaire en BD, mais je garde un pied dans la fiction. Ce qui m'intéresse, c'est d'observer le réel, qui est assez addictif, mais aussi d'inventer en utilisant le réel. Ce que j'ai vu pendant la campagne en 2012, je m'en suis servi pour écrire le film Le poulain.

Est-ce qu'on ne sort pas de dix ans à suivre le sommet de l'État un peu désabusé de la politique et du pouvoir ?

Non, moi je suis assez admiratif des politiques, c'est un métier très dur, d'abnégation énorme, et il y en a d'autres bien plus lucratifs. Nathalie Kosciusko-Morizet, à qui l'on posait un jour à la question : « Comment vous distinguez l'intérêt personnel et l'intérêt collectif ? », expliquait que pour elle, les hommes et femmes politiques étaient des gens assez fous pour penser que l'intérêt collectif était leur intérêt personnel. Il y a une forme de mégalomanie à confondre les deux, et en effet, ces gens-là ne sont pas comme tout le monde. Je n'aimerais pas être comme eux, mais je les respecte. Je pense surtout qu'en France, nous avons une relation très passionnelle avec les politiques. On aimerait des gens parfaits, ils ne le sont pas, et on ressent de la déception qui peut se transformer en ressentiment très fort, voire en haine. Je ne crois pas qu'il y ait la même chose dans d'autres pays d'Europe, parce que le pouvoir est plus dilué que notre statut de président omnipotent. J'ai parfois envie de dire aux gens : « Il ne faut pas vous attendre à un truc incroyable ! » Les politiques, on leur en veut parce qu'ils s'efforcent de donner l'impression qu'ils maîtrisent les choses, qu'ils savent. Mais ils ne savent rien du tout, ils espèrent juste que ça va le faire. Et je ne peux pas leur en vouloir.

Avez-vous eu l'impression qu'eux aussi ont fini par s'intéresser à vous, en tant qu'auteur et dessinateur ?

Non, je ne dirais pas que j'intéresse vraiment les politiques. Ils ont de la sympathie pour moi, parce que le dessin c'est sympa. Et j'ai été un peu pris de court par Emmanuel Macron, je le raconte dans Comédie française, qui me reconnaît la première fois que je le rencontre et m'explique avoir lu ma BD précédente. C'est sans doute la première génération de présidents qui lit des BD. Mais sinon je ne leur vois pas d'intérêt particulier pour les auteurs.

Pensez-vous qu'ils comprennent les conditions dans lesquelles vous travaillez ?

Je sais qu'Emmanuel Macron a été interpellé très vivement à Angoulême sur le statut des auteurs, donc il ne peut pas ignorer la question. Mais je crois que ce qui leur parle ce sont les chiffres, ceux de la BD, et du manga. D'ailleurs, pour moi, il faut perfectionner le Pass Culture, qui profite certes aux éditeurs français de manga et de BD, mais pas aux créateurs français. Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir une loi similaire à celle qui impose un pourcentage de chansons françaises à la radio, et qui a permis à toute une scène de se développer ? Trouver une façon de favoriser les bandes dessinées d'expression française ? Le Pass Culture, c'est un cadeau fait à la production étrangère avec de l'argent public.

Êtes-vous impliqué dans les mouvements de défense des droits des auteurs ?

Je devrais, parce que j'ai la chance et la liberté de pouvoir faire les choses qui me plaisent. Mais je confesse que je suis assez largué sur ces questions hélas, et pas vraiment le bon élève pour défendre les intérêts de mes petits camarades.

Si vous deviez demander des mesures prioritaires pour le livre, quelles seraient-elles ?

Je pense que la profession d'auteur de BD doit être mieux défendue avec un véritable statut et une protection adaptée. Il faut revoir le partage de la valeur, la transparence sur les chiffres, sur les comptes d'exploitation. Il faut aussi augmenter les droits d'auteur, avec un minimum de 10 % de droits pour le ou les auteurs, et imaginer une structure du style Maison des artistes, mais dédiée à la bande dessinée avec des formations et des représentants. Enfin, il faut aussi viser une meilleure répartition des droits en cas d'adaptation audiovisuelle. Aujourd'hui, c'est souvent 50/50 pour l'auteur et l'éditeur, mais si l'auteur apporte un projet audiovisuel cette répartition n'a pas lieu d'être. Il devrait, dans ce cas, avoir 90 % des droits.

Et en tant que citoyen, où est l'urgence pour vous ?

L'urgence est vraiment climatique. Et quand on voit la campagne actuelle, la situation en Ukraine, on se dit qu'on rame à contre-courant, et qu'à aucun moment il n'y a de véritable prise de conscience de la catastrophe climatique et environnementale qui est devant nous. Des problèmes il y en plein, mais on devrait placer celui-là en priorité des priorités.

 

* Carnets de campagne, prévu le 10 mai chez Dargaud, par Mathieu Sapin, Louison, Dorothée de Monfreid, Kokopello, Morgan Navarro et Lara.

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