2 avril > Essai France

Depuis Kant, c’est dit ! L’être des choses, la "chose en soi", est inconnaissable, on ne peut connaître que les phénomènes, la réalité en tant qu’expérience. Et encore, pour ce faire, notre cerveau est formaté. Nous ne pensons qu’au moyen d’une grille, celle que le philosophe de La critique de la raison pure nomme les "formes a priori" de la sensibilité : l’espace et le temps. Or, en notre ère d’hyper-flux libéral-consumériste mondialisé et informatique, même ces données-là sont à revoir.

L’espace ? Yves Michaud, dans son ouvrage Narcisse et ses avatars, pointe en citant Hume qu’"une chose peut exister et être nulle part", pour preuve : le Cloud et autres mémoires virtuelles. Quant au temps, il s’est bien racorni : "désormais tout dure au plus trois ans - la durée de la vie de l’amour, le temps nécessaire pour faire son deuil d’un drame, ou la portée chronologique d’une bibliographie sur Google Search".

Sans doute devrait-on ajouter à notre prisme une nouvelle forme a priori. "Et de taille" : la com. Elle n’a pas d’autre substance que la forme qu’elle exhibe. "Ni "vrai" ni "avéré". La com c’est la transparence, à condition de comprendre que celle-ci n’a pas de portée réelle. C’est transparent parce que c’est communiqué."

La com est une des multiples facettes du monde qu’aborde le philosophe du contemporain qu’est Yves Michaud. Dans la nouvelle collection "Vingt-six" ayant pour principe l’abécédaire, voici la pensée de l’auteur de Narcisse et ses avatars déclinée par ordre alphabétique et comme autant de mini essais. L’époque a tant évolué que c’est à en perdre son latin, il faut changer de mots. Poubelle, concepts anciens, bonjour nouveaux logos ! Chaque entrée est conçue sous le sceau de ce bouleversement : d’"Avatar remplace identité" à "Zapping remplace Attention" en passant par "Design remplace Art" ou "Urgence remplace Temps", c’est à une anatomie sagace que se livre le philosophe. Plasticité du moi, ubiquité de l’argent, accélération du temps, obsolescence de l’intériorité… Si le changement est protéiforme, on dénote un thème commun : une fluidité, sans dedans, et un peu folle.

S. J. R.

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