23 NOVEMBRE - JOURNAL France

"J'ai fait le compte des sottises : Claudel - le faux génie ; Giraudoux - le raseur précieux ; Ionesco - le Strindberg des Galeries Lafayette ; Saint-Exupéry - la farce sacro-sainte, Le Petit Prince : l'ignoble imbécillité. Etre le seul est une lourde charge. Je la porte. Elle est allégée par le fait que les gens ne le savent pas. Mauriac - nul et sale. Malraux - illisible. Je suis seul, seul, seul."

Dimanche 27 mars 1960, Jean Cocteau est un rien chafouin. S'il continue à offrir à tous (et surtout au plus grand nombre possible) le visage resplendissant de sa gloire de "prince des poètes" (titre qu'il se fait in extremis chiper par Paul Fort avant de le récupérer lorsque ce dernier décède opportunément), il persiste à confier largement à son journal, qui serait aussi un peu son mauvais génie, la noirceur, sinon de son âme, au moins de son ressentiment. C'est qu'intimement il n'est pas dupe. En ces naissantes années 1960, il pressent confusément que, pour lui, la partie est finie. Il a beau taguer des anges sur toutes les chapelles marines qui passent à sa portée, se réchauffer au soleil de la gloire de Picasso, mettre la dernière main à son ultime oeuvre notable, Le testament d'Orphée, se désespérer de la réticence de ses contemporains à lui accorder le plein bénéfice de son génie, batifoler de réceptions en vernissages tout le long de la Côte d'Azur, pester contre tout et chacun, et en particulier Sacha Distel, paraître n'avoir plus de goût que pour les décorations et les honneurs ; rien n'y fait, la grâce s'en est allée avec les années. Et en effet, Cocteau est seul. Ça rend méchant. Et si ce tome de son journal, qui couvre les années 1960-1961, est d'abord une assomption de la méchanceté où les flèches de l'amertume sont assez brillantes pour fasciner, çà et là, la beauté de quelques pages, quelques lignes même parfois, pour se souvenir des salons de la Belle Epoque, dire l'amour inconditionnel d'Edouard Dermit, le fils adoptif, ou apprivoiser la mort qui vient, serre le coeur. Elle est retrouvée, la tendresse. C'est le rêve apaisé d'un très méchant garçon.

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