Un matin de Noël, Holly Judge se réveille avec le besoin d’écrire, elle qui pourtant a renoncé à la poésie. L’héroïne du nouveau roman de Laura Kasischke est une femme de 33 ans naturellement blonde qui a subi une double mammectomie et ovariectomie. Le quotidien d’Holly vacille. Le toit de sa maison fuit. Le papier peint au motif de marguerites de la salle de bain se décolle. Les CD ont tous été rayés comme au canif. Sans parler de la bosse apparue sur le dos de la main de son mari, Eric.
Quelque chose les a suivis depuis la Russie jusqu’à chez eux, se dit-elle. Russie où le couple est naguère parti. En Sibérie, à l’orphelinat de Pokovrovka, on recommandait de porter des colliers d’ail. C’est là qu’ils venaient chercher un bébé, Tatiana, qui signifie reine des fées en russe, et qui a aujourd’hui 15 ans. Tatiana qui tenait déjà à moins de deux ans sa fourchette « comme un adulte dans un restaurant cinq étoiles ». Et qui, à quatre ans, lui a demandé qui était sa vraie mère.
Holly doit faire face à plusieurs urgences. Thuy, Pearl et Patty se sont décommandées. Mais les Cox, des amis, ne devraient plus tarder à arriver pour les festivités de saison. Les parents d’Eric, eux, sont déjà à l’aéroport mais vont devoir affronter la tempête de neige.
Ajoutons qu’Holly reçoit sur son iPhone, dont la sonnerie est un morceau de Dylan, des appels émanant d’un numéro inconnu. Que Tatiana se montre soudainement irascible et colérique. Que souvenirs et interrogations se bousculent dans sa tête…
Depuis A suspicious river (Christian Bourgois, 1999, repris au Livre de poche), Laura Kasischke poursuit une œuvre cohérente et forte, où elle fait sans cesse vaciller le quotidien de ses protagonistes. Plus que jamais, l’auteure de En un monde parfait (Christian Bourgois, 2010, repris au Livre de Poche) distille dans Esprit d’hiver la tension et l’angoisse tout en ménageant le suspense. Et en orchestrant un époustouflant huis clos entre une mère et sa fille dont le lecteur sort passablement remué.
Al. F.