Anne-Marie Garat a toujours fait preuve d’un solide souffle romanesque. Comme elle l’a notamment prouvé dans une formidable trilogie, Dans la main du diable (Actes Sud, 2006, repris chez Babel), L’enfant des ténèbres (Actes Sud, 2008, repris chez Babel) et Pense à demain (Actes Sud 2010, repris chez Babel). La revoilà en grande forme avec La source.
Dès le début, le lecteur est pris dans un tourbillon. Le décor est une antique campagne française avec son vallon, sa forêt et sa rivière, la Flane. Lottie est juchée sur un billot au coin du hangar. Un jeudi, au début du siècle dernier, la gamine observe une créature à deux têtes qui passe devant la barrière et se dirige d’un pas chancelant vers la maison des Ardenne. Il s’agit là d’un homme de grande taille, aux souliers cloutés de bonne façon bien que couverts de boue, avec un gros sac de voyage, un patelot doublé de fourrure, un calot de laine cuite. Et surtout un petit enfant calé dans son dos.
Lottie se cache sous le groseillier et observe la scène. Il n’y a personne dans la maison, Mme Ardenne est partie au bourg avec sa bonne. Constatant son absence, l’inconnu laisse derrière lui l’enfant qu’il a pris soin de nourrir, un portefeuille et une timbale en argent bien en évidence sur un coin de la table de la cuisine. Lottie, elle aussi, dort dans une cuisine, sur une paillasse, dans une ferme où elle est seule avec son frère Jules, la vieille chienne Pipa et sa mère, depuis le départ de son père.
Nous retrouvons Lottie des années plus tard. On l’appelle Mlle Carmeux. Une enseignante revient au Mauduit, un bourg de Champagne-Ardenne où elle se souvient avoir séjourné enfant. Le dernier hôtel des lieux a fermé, il lui faut trouver une chambre chez l’habitant. A la mairie, on lui a conseillé de s’adresser à Mlle Carmeux qui pourrait bien être la doyenne du bourg. Laquelle accueille la visiteuse, qui s’avère être la narratrice de La source, dans sa maison qui craque, à la robinetterie vibrante. Lottie commence à lui raconter son histoire, à lui parler du domaine des Ardenne, de ses jeunes années. D’une petite fille qui avait été prénommée Anaïs.
L’écriture d’Anne-Marie Garat est un fleuve, une mélopée. Avec son style lancinant, son art du détail et de l’ouvrage, l’auteure d’Aden (Seuil 1992, prix Femina et Renaudot des Lycéens, repris chez Points) nous prend par la main. Elle nous plonge dans les méandres d’un roman où il fait bon se lover. Cette Source qui ouvre la porte sur un monde perdu qui a gardé tout son éclat. Al. F.