C’était quelque temps après l’aube, le 16 août 1977, dans une immense propriété du Tennessee qui en appelait à la grâce et à la terre promise. Lourd de trop de somnifères, de médicaments, de chagrins de gosse mal résolus, le cœur d’Elvis Aaron Presley cessait de battre. Le jeune homme prématurément vieilli, sanglé dans des costumes trop ajustés, trop lamés et écarlates, le chanteur à la voix d’or et de sucre, rejoignait ses fantômes intimes et le premier d’entre eux, son frère, Jesse Garon, mort à la naissance.
Vingt ans plus tard, un grand appartement, avenue Pierre-1er-de-Serbie. Une femme entre deux âges, deux eaux, qui a perdu son mari et jusqu’au goût de vivre, retrouve un travail. Ce sera chez John White, un américain dont elle ne sait rien, qui paraît 70 ans, peut-être moins, ou plus, qu’importe, et qui a autant besoin de compagnie que de ménage. Les deux ne se comprennent pas, du moins ne parlent-ils pas la même langue. Ils s’entendront parfaitement. Le temps passera comme ça, jusqu’à épuisement des comptes en banque et de chacun des protagonistes.
Ce sont non pas une mais deux histoires de fatigue et d’amour qui se répondent de façon mystérieuse que nous narre Caroline De Mulder dans ce Bye bye Elvis aussi beau qu’ "envapé". La jeune romancière belge y fait montre d’une maîtrise narrative, d’un souffle sourdement lyrique qui confirment les belles promesses d’Ego tango et de Nous les bêtes traquées (Champ Vallon, 2010 et 2012). Sur Elvis, aspirateur à fantasmes planétaire, elle a tout lu (et notamment la biographie monumentale et essentielle de Peter Guralnick) et compris l’essentiel. A savoir que le mythe est si grand qu’il laisse largement ouvert le champ des possibles, une appropriation très intime. Depuis le Savitzkaya d’Un jeune homme trop gros (Minuit, 1978), personne ne s’y était aussi joliment risqué. Dans la compagnie des monstres sacrés (vrais ou faux, Elvis ou John White, qu’importe, puisque le récit n’est tendu que par la douce tyrannie de l’artifice), Caroline De Mulder débusque, du fond de leurs nuits, des secrets très précieux et très beaux.
O. M.