18 septembre > Essai France

Michel Schneider- Photo ARNAUD FÉVRIER/FLAMMARION

Pascal, dans l’un de ses Discours sur la condition des Grands adressés à un fils de duc et pair du royaume, rappelle au prince ceci : « Ainsi tout le titre par lequel vous possédez votre bien n’est pas un titre de nature, mais d’un établissement humain. Un autre tour d’imagination dans ceux qui ont fait les lois vous aurait rendu pauvre ; et ce n’est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naître, avec la fantaisie des lois favorables à votre égard, qui vous met en possession de tous ces biens. »

Aujourd’hui, fini le droit divin, c’est le suffrage qui fait le prince. A la chance, même s’il en faut sûrement un peu, on a substitué l’ambition et, on l’espère, le mérite - c’est le suffrage qui fait le prince. Mais une fois élus, nos gouvernants oublient parfois qu’ils sont là parce qu’ils sont élus. Paradoxalement, ils veulent se faire aimer, à tel point qu’ils confondent sphère publique et sphère privée. Si le président Sarkozy a déclaré sans pudeur devant un parterre de journalistes qu’« avec Carla c’est du sérieux », cela n’a pas empêché son successeur, qui s’était pourtant positionné lors de sa campagne électorale comme l’antithèse de ce dernier, d’épancher son orgueil au Mali : « Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie… politique » (sic). Pas en tant que « moi président » mais en tant que « moi François Hollande », petite confusion entre le je (symbolique) et le moi (subjectif)… Quel est donc ce mal qui ronge les politiciens ? Le narcissisme, diagnostique Michel Schneider, psychanalyste et écrivain, et auteur d’un décapant Miroirs des princes : narcissisme et politique. Si, comme le bon cholestérol, le narcissisme est nécessaire pour la construction de soi, point trop n’en faut.

Or l’ego déborde de partout : déballage de sa vie intime, de ses états d’âme dans les magazines ou sur les chaînes de télévision. On a les dirigeants qu’on mérite. Malaise dans la « décivilisation » - le recul du symbolique face à cette invasion du moi dans l’espace public. Le névrosé douloureux cède le pas au pervers narcissique. Il faut avouer que notre société postmoderne est en permanence narcissisée par les médias, la publicité, les réseaux sociaux : « 800 millions d’humains sur Facebook, et combien d’autres narcisses gazouillent leur ego sur Twitter, persuadés que leurs opinions, leur vie, leurs histoires et leur histoire valent d’être montrés, regardés. » Les trois ordres de ce nouveau régime people : les politiques (les hommes et femmes de pouvoir qui cherchent à être élus), les médiatiques (les journalistes qui font et défont les roitelets), les basiques (« les gens » qui en redemandent dans leur volonté de puissance frustrée) ; tous se flattent et se tendent le vain reflet de leur néant d’être. Un jeu de miroirs qui fait accéder aux plus hautes fonctions des individus pathologiquement narcissiques.

Outre le ton pamphlétaire de l’essai qui taille en pièces cette indécence « moïque », preuves à l’appui (affaires Strauss-Kahn, Cahuzac), Michel Schneider fait une profession de foi : « Je suis un demeuré. Demeuré au stade névrotique de la parole et de l’action politique. Demeuré en la croyance qu’une démocratie est possible à l’âge des médias, des écrans et des réseaux de la globalisation. »

Sean J. Rose

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