Déjà auteurs d’un Bréviaire des petits plaisirs honteux… mais utiles pour supporter le quotidien en temps de crise (JBZ & Cie, 2010, et chez J’ai lu le 22 octobre), Charles Haquet et Bernard Lalanne sont de ces moralistes aimables qui n’hésitent pas à se confronter à notre moderne quotidien dans ce qu’il a de plus pénible : que celui qui n’a jamais été agressé "par pure cruauté" par un cintre métallique, dénoncé par Pierre Desproges, leur jette la première pierre.
De plus en plus, et sous le prétexte de nous "simplifier la vie", la technologie et la publicité nous imposent des objets nombreux, sophistiqués et animés… de mauvaises intentions. Grille-pain fou, tickets de métro qui se démagnétisent, chaises longues piégeuses, sans parler du GPS délirant et du traducteur automatique servi avec nos ordinateurs, dont voici la version du début de Don Quichotte : "Dans un village de la Manche, dont je ne me souviens pas, n’a pas vécu longtemps, un gentilhomme de la lance et le bouclier antique, un hack maigre et un lévrier à courre."
Derrière l’humour et les anecdotes, il s’agit de dénoncer les dérives aliénantes du monde moderne. Pour ce faire, les auteurs déploient tout leur talent, toute leur virtuosité, et varient les genres : petites scènes dialoguées, poème cornélien sur La notice IKEA, ou encore poèmes en prose un peu dans la lignée de Francis Ponge (celui du "Cageot").
C’est enlevé, bien écrit, farfelu et pourtant vrai. On appréciera le chapitre dédié au calvaire des gauchers (15 % de la population !), confrontés à une discrimination technique, intolérable et dangereuse : "Aux dernières nouvelles, Léonard [de Vinci] a pris un jet de limaille dans l’œil et Rafa [-el Nadal] a percé son trou de travers." Mais que font les pouvoirs publics ? J.-C. P.