L'occupation allemande n'a pas laissé que des mauvais souvenirs. Depuis, les Français mangent des carottes râpées. C'est l'une des révélations de ce livre préfacé par Emmanuel Le Roy Ladurie. Mais ce n'est pas la seule. L'historienne et germaniste Cécile Desprairies a listé soixante règles et usages légués par les nazis. Pour chaque mesure, elle revient sur son origine, son application en Allemagne et sous Vichy, puis ce qu'elle est devenue aujourd'hui des deux côtés du Rhin. Dans l'ouvrage, on retrouve des documents et des publicités d'époque pour la crème Nivea, la soupe lyophilisée Knorr ou le sparadrap Hansaplast.
Au fil des pages, cet héritage s'avère paradoxal. D'un côté, on remarque la valorisation des produits naturels et des légumes dans la consommation courante, de l'autre, on multiplie la réclame pour la chimie teutonne au service d'une agriculture intensive. Parmi les autres legs, Cécile Desprairies pointe le tri des déchets, les installations frigorifiques, la congélation via la conserverie de fruits norvégienne Findus (Fruktindustri), la Bintje ou patate des nazis, la généralisation des blés hybrides à haut rendement ou la vache de race Holstein. Mais on doit aussi à l'Allemagne les équipements sanitaires, l'hygiène corporelle et les tenues de sport grâce à Adolf Dassler, surnommé Adi, et son frère Rudolf, tous deux membres du parti nazi qui ont fondé les firmes Adidas et Puma.
« Dans le domaine des habitudes alimentaires, souligne Cécile Desprairies, notons le végétarisme et l'abstinence d'alcool issus du courant völkisch, auquel se tiennent Hitler et Himmler. » Mais ce sont aussi les Allemands qui augmentèrent pour leur consommation personnelle la production de Cognac et d'Armagnac. Côté équipements, elle signale les décisions en faveur de l'énergie hydro-électrique avec les barrages de Génissiat (Ain) et de l'Aigle (Corrèze) construits sous l'occupation ou le pont de Tancarville, dénommé Pont Pétain, réalisé sur une initiative allemande.
Cécile Desprairies renouvelle avec brio le coup qu'elle avait fait avec L'héritage de Vichy (Armand Colin, 2012) en exerçant une sorte de droit d'inventaire. Tous les régimes, même les plus épouvantables, laissent une trace dans l'histoire. Le tropisme réglementaire des nazis - de nombreux cadres du parti étaient des juristes - était au service d'une idéologie visant à éliminer les juifs de la vie administrative, avant de les éliminer de la vie tout court. Ainsi la création du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (Capa) en 1941, toujours en vigueur, a été mise en place dans le but d'« aryaniser » la profession. Son livre incite à réfléchir sur ces empreintes de l'histoire que l'on n'efface pas mais qui finissent par être digérées par le temps. La plupart des mesures allemandes ont été abolies à la Libération. Mais il reste quelques habitudes habillement mises en exergue.
L’héritage allemand de l’Occupation : ces 60 dispositions toujours en vigueur - Préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie
Armand Colin
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 22,90 euros ; 256 p.
ISBN: 9782200624460