Pass culture : les jeunes et la lecture sacrifiés ?

Une jeune lectrice - Photo PANCAKE PICTURES Connect ImagesConnect Images via AFP

Pass culture : les jeunes et la lecture sacrifiés ?

Le spectacle vivant et les institutions culturelles qui le portent et comptent de nombreux relais d’opinion, n’acceptent pas que l’argent public aille au livre plutôt qu’à eux, estime notre chroniqueur Claude Poissenot.

Le double contexte de la formation d’un nouveau gouvernement et de la volonté de coupes dans le budget de l’État met le pass culture sur la sellette. Sans ambages, plusieurs voix se sont élevées pour en suggérer la suppression. Le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Culturelles est présenté comme suggérant d’y mettre un terme là où cela ne figure pas dans les préconisations des auteurs et où, au contraire, ils pointent « la grande satisfaction du dispositif » pour les jeunes et sa contribution « à élargir les horizons culturels de nombreux jeunes ».

Contester le pouvoir donné aux jeunes

Bref, un peu à la manière des « entrepreneurs de morale » de H. S. Becker, une partie du monde culturel use de son pouvoir pour contester celui que les jeunes ont acquis grâce à l’argent public qui leur est fourni. L’enjeu n’est donc pas seulement de récupérer les plus de 200 millions de budget annuel pour les allouer aux institutions culturelles dont ils occupent les positions ou dont ils commentent l’action. Il s’agit de dénier aux jeunes le pouvoir de décliner les pratiques culturelles à leur guise.

Et il est vrai qu’ils ont totalement délaissé le spectacle vivant dans leurs dépenses. Ce domaine ne représente que 2% de ce qu’ils ont dépensé, soit moins que le matériel de beaux-arts (3%) ou les instruments de musique (8%). Là où il serait possible de chercher à comprendre ce qui conduit les jeunes à bouder l’offre de spectacles vivants, certains préfèrent supprimer les moyens pour les jeunes de s’approprier à leur manière la culture. Cela révèle que la prescription culturelle n’a pas disparu alors même qu’elle se heurte désormais à des individus revendiquant leur autonomie. Plus de 20 ans plus tard, ils n’ont toujours pas admis la deuxième mort de Malraux.

La victoire surprise de la lecture

Mais qu’est-ce donc que les jeunes plébiscitent avec le pass Culture ? Loin devant le cinéma (18%), le premier poste de dépense concerne le livre qui représente 54% du total. Et comme le livre est relativement peu cher, il totalise 71% de tout ce qui a été commandé par les jeunes à l’aide de leur pass. Vrai plébiscite pour la lecture alors même que les commentaires de l’enquête récente du CNL sur les Jeunes Français et la lecture étaient très inquiets.

Les librairies ont su être très rapidement présentes sur l’application et leur maillage du territoire beaucoup plus fin que les institutions culturelles (musées, théâtres, opéra, etc.) les a favorisées. Elles ont su accueillir ce public souvent nouveau.

L’étude Le livre sur le pass Culture montre que 48% des jeunes ayant utilisé le pass pour réserver un livre ont découvert un lieu d’achat ou d’emprunt de livres à cette occasion. Un lycéen exprime sa satisfaction : « Il y a un réel contact avec les libraires, on entre dans un univers ». Et cet accueil résulte d’une politique que résume bien la librairie La Malle aux Histoires à Pantin : « Nous avons cherché à mettre à l’aise les jeunes qui venaient avec le pass Culture. Discuter avec eux, leur proposer un accompagnement : il nous semblait essentiel de bien les accueillir afin qu’ils se sentent à l’aise dans un environnement qui ne leur est pas nécessairement familier ».

Tout ce travail permet d’espérer que les jeunes auront acquis l’évidence de la librairie. A l’âge qui est le leur, l’enjeu n’est pas mince car il s’agit de forger des habitudes culturelles durables. Et si les libraires voient bien que les jeunes achètent beaucoup de mangas ou de romance, ils savent que l’important est d’amorcer les pratiques de lecture pour qu’elles se poursuivent et se diversifient.

Sacrifier la lecture ?

Loin des projecteurs et bruits médiatiques, les libraires effectuent un travail précieux pour maintenir la lecture de livres dans l’univers, pourtant très concurrentiel, des pratiques de loisirs des jeunes. Et c’est tout ce travail que menace de rayer d’un trait de plume la suppression pure et simple du pass Culture.

Habitués à être financés largement, le spectacle vivant et les institutions culturelles qui le portent et comptent de nombreux relais d’opinion, n’acceptent pas que l’argent public aille au livre plutôt qu’à eux. Cela signale le très peu de considération qu’ils accordent au livre et à la lecture puisqu’ils sont prêts à les sacrifier pour sauver leur définition étroite et institutionnelle de la culture.

Les acteurs des mondes du livre apprécieront, mais cela met en lumière sans doute aussi une recomposition de la hiérarchie des pratiques culturelles vers une valorisation de l’événementiel et de l’institutionnel. Et le moment dans lequel nous sommes semble trancher avec l’idée que P. Coulangeon avançait en 2010 selon laquelle « la lecture apparaît comme la plus légitime des pratiques culturelles ». Peut-être la lecture devient-elle moins légitime, mais peut-être aussi est-ce ce qui lui assurera son avenir…

25.09 2024

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