Avant-critique Essai

Paul B. Preciado, "Manifeste contre-sexuel" (Au Diable Vauvert)

Paul Preciado - Photo © Getty Images/Au Diable Vauvert

Paul B. Preciado, "Manifeste contre-sexuel" (Au Diable Vauvert)

Paru en 2000, ce premier texte, révolutionnaire, de Paul B. Preciado est aujourd'hui disponible dans une nouvelle traduction.

Parution 6 février

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Par Marie Fouquet
Créé le 12.02.2025 à 14h00

Prophétie queer. Paru il y a tout juste vingt-cinq ans et épuisé depuis de nombreuses années, Manifeste contre sexuel, texte emblématique de la pensée queer signé Paul B. Preciado, est à nouveau disponible. Dans cet essai dédicacé à son éditeur de l'époque, Guillaume Dustan, que Paul B. Preciado qualifie d'« anus radieux et transporteur de godes d'exception », l'auteur développe une pensée révolutionnaire « contre-sexuelle » qui prolonge les réflexions deleuzienne et guattarienne de L'anti-Œdipe mais aussi celles de la philosophe Donna Haraway et de l'anthropologue Gayle Rubin, pour proposer avec une force et une joie jouissives un cheminement antipatriarcal, anticapitaliste, antinormatif et décolonial.

Ici, les textes et les pensées philosophiques sont désignés sous les métaphores du gode, du dildo et autres sextoys perçus comme des « outils épistémologiques puissants ». Citant également Michel Foucault et David Halperin et leur manière de qualifier la pratique queer comme « méthode qui consiste à transformer certaines technologies de domination en technologies de soi », Paul B. Preciado invite à enfin se réapproprier, en sexualité, les notions de plaisirs et de « positionnements d'identité ». Comment ? En sortant de la volonté de contrôle que les strictes définitions de soi par des autorités sociales ou politiques imposent ; en laissant les expériences et les événements que l'on traverse modifier notre perception de nous-mêmes et notre être-au-monde ; en écrivant notre histoire contre les normes hétéropatriarcales qui nous réduisent à des sexes et des désirs figés ; ou encore en inventant nos propres archives.

Ce manifeste fait l'effet d'une zone d'autonomie temporaire libératrice dans laquelle la pensée et l'expérience ouvrent la possibilité de sans cesse se métamorphoser et de se laisser aller à un devenir-autre. La prothèse - ou la « dildonique » - apparaît ici comme un outil de déplacement pour sortir des genres préétablis et pour bâtir des relations contre-sexuelles. La condition : des « contrats librement consentis signés par tou.te.s les participant.e.s », soit des personnes pouvant « exposer les fictions naturalisantes (mariage, flirt, romance, prostitution, tromperie, jalousie, polyamour) qui forment la base de leurs pratiques sexuelles ». Le philosophe précise (il semble qu'aujourd'hui encore il faille le faire) : « Les relations sexuelles hors contrat seront considérées comme des viols. »

Comme le montrent les récentes affaires Pelicot, Haenel ou Godrèche, vingt-cinq ans après l'écriture de ce manifeste, « la seule norme patriarcale et hétérosexuelle est la violence. » Si, en 2000, Preciado écrivait déjà : « L'échec de la gauche réside dans son incapacité à redéfinir la souveraineté dans des termes autres que ceux en lien avec le corps occidental blanc, binaire et patriarcal », espérons que le public contemporain à qui est offerte l'occasion de (re)découvrir ce texte nécessaire s'en saisisse en vue d'une réflexion politique inspirante et efficiente.

Paul B. Preciado
Manifeste contre-sexuel
Au diable Vauvert
Traduit de l'anglais par Vanasay Khamphommala
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 € ; 288 p.
ISBN: 9791030705935

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