Le déclic de ce livre fut, semble-t-il, une lettre que reçut Paule Constant à la suite de la publication d'Ouregano, en 1980. Son premier roman, où elle racontait son enfance africaine, passée dans un village du Cameroun où son père était le médecin-chef militaire. Naturellement, comme tout écrivain, elle y mêlait éléments authentiques et fiction, et livrait le jugement de la petite fille qu'elle était alors sur les épisodes et les personnages de cette tragi-comédie sur fond colonial. Mais voilà que sa lectrice, où elle reconnut sans peine madame Dubois, veuve de l'administrateur minable du village, contestait sa version des faits, et ne reconnaissait pas, dans l'Ouregano de l'écrivain, le Batouri où elles s'étaient connues. Excellente occasion, pour Paule Constant, de revisiter les faits, de rétablir certaines "vérités", et, partant, d'inviter le lecteur à un jeu littéraire très prisé de nos jours : tenter de démêler le vrai du faux. Le résultat donne C'est fort la France !, un nouveau livre virtuose dont le titre même indique la tonalité générale : pince-sans-rire.
A Batouri, donc, dans les années 1950, il y avait les Constant, venus en Afrique par convictions humanistes et anticolonialistes, et qui ne vont pas tarder à s'affronter avec les tout-puissants Dubois. L'administrateur ridicule, caricature du petit fonctionnaire colonial, qui finira par mourir de son alcoolisme. Sa femme, pathétique, qui se conduit comme si elle vivait à Yaoundé ou à Dakar, alors qu'elle ne règne que sur un trou paumé de brousse au milieu de nulle part, et sur quelques boys qui la méprisent. Même Djébé, son préféré, qu'ils ont recueilli enfant et qui fait office de majordome. C'est lui qui dira un jour : "C'est fort la France !", pour faire plaisir à sa patronne en train de lui vanter quelque prodige de la mère patrie.
Parmi les autres protagonistes, madame Tong, tenancière de bistrot et inventeur des fameuses sandales, la famille Bodin, l'infirmier et sa tribu sauvage, semblables à des bonobos, Alexandrou, épicier à "La Ressource de l'Afrique" et trafiquant notoire, ou encore le pasteur et sa femme. Un couple un peu bizarre, qui a décidé de vivre "à l'africaine", avec les autochtones. Erreur fatale : ils se coupent des Occidentaux sans s'intégrer à la population, choquée. C'est d'ailleurs la mort du pasteur, au cours d'un accident de chasse mystérieux (provoqué ?), qui sonnera le glas de la petite communauté, préfigurant la fin de l'Empire français en Afrique.
Bien des années après, Paule Constant, que sa mère appelait "Petit Pilou", consent à revoir madame Dubois, à Paris, dans le sombre appartement de la rue Oudinot - juste en face de l'ex-"Ministère des Colonies" - où elle vieillit, confite dans ses objets d'Afrique, restes de sa splendeur passée. Une femme qui, pensant servir la France, "avait tout faux", parce qu'elle ramait à contresens de l'histoire. L'écrivain, en proie à une espèce de tendresse paradoxale, la suivra jusqu'à la fin, comme si elle enterrait ainsi définitivement sa propre jeunesse. C'est fort, l'Afrique !