Comme un grand nombre de ses compatriotes, Jérôme Ferrari est un enfant de la diaspora. Il est né sur le continent, à Paris, en 1968, a passé toute son enfance à Vitry-sur-Seine. Mais, contrairement à ses parents, très "assimilés" - ses grands-pères ont tous fait carrière dans l'administration, y compris aux "colonies" - il avait conservé des liens très forts avec le village d'origine des Ferrari, Fozzano, près de Propriano. "Jusqu'à l'âge de 20 ans, avoue-t-il, j'étais monomaniaque de la Corse." Une position à la fois culturelle et politique, dans la mouvance autonomiste.

Alors, en 1988, sous prétexte d'effectuer un mémoire de sociologie sur la criminalité en Corse, puis une maîtrise et un DEA de philosophie à Corte, "la seule université de l'île, mais aussi l'ancienne capitale de Pascal Paoli, tout un symbole", le jeune Jérôme revient au pays, et milite durant deux ans, juste au moment où le mouvement indépendantiste "a explosé". Il prend conscience, "de façon pérenne", qu'il n'est pas fait pour le militantisme, "quel qu'il soit", et se réjouit aujourd'hui que la culture et la langue corses, auxquelles il demeure viscéralement attaché, "se soient libérées de la sphère politique". "Contrairement à mon père, je parle corse, précise Ferrari, même si je l'ai appris tard."

Réenraciné, il vit en Corse, jusqu'en 2003, sans avoir aucun "plan de carrière". Après avoir tâté du journalisme "de terrain" dans un magazine local - "Ça ne me plaisait pas du tout !" -, il passe les concours de l'Education nationale (Capes et agrégation de philo) et enseigne sa discipline au lycée de Porto-Vecchio. "J'avais découvert un autre monde, le mien, explique-t-il, et c'était intéressant du point de vue de la fiction."

Aussi, Jérôme Ferrari, après avoir écrit un premier roman envoyé, sans succès, à plusieurs éditeurs parisiens, compose en 2000 un recueil de nouvelles "iconoclaste", Variétés de la mort, qu'il propose à Albiana, "grand éditeur généraliste d'Ajaccio". Le livre paraît en 2001, et suscite, chez ses compatriotes, des réactions "assez violentes". L'année suivante, il enchaîne chez le même éditeur avec Aleph zéro, "un petit roman" qui passe cette fois complètement inaperçu. "J'avais l'impression, se souvient l'auteur, que le livre n'avait pas existé. Et je me suis juré, si je réécrivais, d'être publié dans une maison d'édition nationale !" Cela lui prendra cinq ans.

"J'ai cru que c'était cuit »

Entre-temps, Jérôme Ferrari avait quitté son île. De 2003 à 2007, il enseigne la philosophie au lycée international d'Alger. Expérience qu'il transposera dans ses romans. En 2006, il avait expédié à cinq éditeurs parisiens le manuscrit de Dans le secret. Au terme d'un embrouillamini, c'est Actes Sud qui l'emporte. Le livre sort en 2007. Quelques critiques découvrent l'auteur, et le roman se vend à 1 500 exemplaires environ. Est publié ensuite Balco Atlantico, en 2008, alors que Ferrari, de retour en Corse, est professeur au lycée Fieschi d'Ajaccio. Zéro article, et un flop absolu. "J'ai cru que c'était cuit, dit-il, qu'Actes Sud allait me lâcher. Tout au contraire. Son éditrice le rassure et continue de lui faire confiance. Avec raison : Un dieu, un animal (2009) puis Où j'ai laissé mon âme (2010) séduisent la critique et sont des succès en librairie : respectivement 8 000 et 30 000 exemplaires vendus environ. "A chaque livre, j'avance, je fais autre chose, un pas, avec un projet littéraire différent."

A la rentrée, alors qu'il enseignera la philo au lycée français d'Abu Dhabi et sera conseiller pédagogique pour la péninsule Arabique et la péninsule Indienne durant cinq ans, Jérôme Ferrari publie Le sermon sur la chute de Rome. Un roman où il revient à ses fondamentaux, qui entremêle l'histoire d'un village corse, de 1919 à aujourd'hui, avec celle de la prise de Rome par les Barbares d'Alaric, en 410, vue par saint Augustin. Parallèlement, Jérôme Ferrari a traduit Murtoriu, roman de son ami Marco Biancarelli, "le premier Corse qui écrit en corse publié sur le continent". Langue orale à l'origine, le corse est écrit et normé depuis les années 1970. Le livre paraît lui aussi chez Actes Sud à la fin du mois d'août, mais dans la rentrée étrangère...

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