On sait combien la littérature doit à la psychanalyse. Mais de quoi la psychanalyse est-elle redevable à la littérature ? C'est le point de départ de l'ouvrage d'Edmundo Gómez Mango et de J.-B. Pontalis. Pour leur Freud avec les écrivains, ils ont exploré la bibliothèque du maître et surtout l'ont relue à la lumière de ce qu'il a dit des auteurs dont il s'est nourri.
Freud était un grand lecteur. C'est donc au moins autant par les livres que par ses observations cliniques qu'il façonna sa méthode. Parmi eux, ceux de Shakespeare, évidemment, grand créateur de personnages hystériques que des années de divan ne suffiraient pas à expliquer. "Il se pourrait, remarque Pontalis, que Freud ait vu en Shakespeare un rival plutôt qu'un allié, un frère aîné encore plus audacieux que lui."
Edmundo Gómez Mango s'est réservé la plupart des auteurs allemands : l'olympien Goethe tracassé par les souffrances de l'âme, Schiller qui "visite souvent les rêves de Freud", Hoffmann et son inquiétant fantastique, Heine et son goût pour le mot d'esprit, etc. Il faudrait aussi citer Dostoïevski, Schnitzler en qui Freud voit un "double", Romain Rolland, Zweig ou Thomas Mann et sa tentation du crépuscule. Les deux psychanalystes rappellent que Freud lui-même était un écrivain. Comme Pontalis, qui se confie dans Le laboratoire central. Ce laboratoire, c'est le sien. Celui de ses incertitudes, de ses rapports à l'histoire et bien sûr à la littérature. Les neuf entretiens réalisés entre 1970 à 2012 permettent d'approfondir cette relation. "L'écrivain, qu'il le veuille ou non, ne peut s'empêcher de dévoiler le vrai par la fiction ou les masques." Il explique alors que le roman "place le lecteur dans la position d'analysé". Un peu comme nos deux psys face à Freud ! On savoure alors notre plaisir à circuler dans cet ouvrage plein de malice, comme ces auteurs qui ont trouvé le bon prétexte pour nous parler de leur amour de la lecture...