Entretien

Maître de conférences à l'Université Paris-Saclay, auteur de La littérature young adult et de La dystopie (Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand 2019), Laurent Bazin est spécialiste de la littérature pour adolescents et jeunes adultes, et de leurs pratiques de consommation.

Livres Hebdo : Les 15/25 ans fréquentent peu les librairies. Cela signifie-t-il qu'ils ne lisent plus ?

Laurent Bazin : Pas du tout. Au niveau mondial, Harry Potter et Hunger games rassemblent chacun quelque 400 millions de lecteurs. Il est donc difficile d'affirmer que les adolescents et les jeunes adultes ne lisent pas ! Ils le font autrement, et surtout pas comme les adultes le voudraient. Ils privilégient des genres et des supports différents, et peuvent le revendiquer grâce à Internet et aux réseaux sociaux, qui leur ont offert des armes pour affirmer ce choix culturel et couper les ponts avec la culture de leurs aînés. L'analyse de leur activité sur le Net montre qu'ils nagent dans un bouillonnement créatif autrement plus dynamique que celui dans lequel baignaient les générations précédentes, qui ont bien du mal à en prendre conscience, voire refusent cet état de fait.

Cette identité revendiquée a-t-elle un impact sur les pratiques culturelles des jeunes ?

L. B. : Pour eux, la lecture n'est plus un acte individuel mais une activité collective, qu'ils partagent tout le temps. Ils sont aussi transmédiatiques : leur relation aux supports et aux genres est très poreuse, à tel point que ces notions, qui régissent encore le milieu du livre, n'ont plus beaucoup de sens pour eux. Plus qu'un genre, adolescents et jeunes adultes cherchent dans les livres des émotions, de l'évasion, et surtout des réponses aux grandes questions qui les traversent, telle l'identité ou l'avenir de l'humanité face au changement climatique.

Qu'est-ce qui les rebute dans une librairie ?

L. B. : Malgré tous ses efforts, la librairie est encore associée, dans les représentations sociales, à une institution élitiste. Or les adolescents rejettent en bloc tout ce qui fait référence à ces institutions qui structurent la société actuelle. Deuxième frein, ils trouvent tout sur Internet, que ce soit de manière légale ou illégale. En revanche, très paradoxalement, ils identifient la médiathèque comme leur lieu préférentiel de sociabilisation. Ils s'y retrouvent, y travaillent, y discutent. Les bibliothécaires ont plus de latitude pour les accueillir.

Cela signifie-t-il que le combat soit perdu pour les libraires ?

L. B. : Non. Les libraires disposent aussi d'atouts. S'ils parviennent à créer un espace clairement identifié, en prise avec l'actualité qui le concerne, l'adolescent s'y sentira chez lui, dans sa communauté. Cela peut passer par des choses simples, comme signaler que Les hauts de Hurlevent a inspiré la saga After, ou que l'auteur de Hunger games avait pour livre de chevet Germinal. Il faut leur offrir des passerelles vers d'autres littératures.  

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