Pas si mineur que cela, si l’on en juge par les noms des maîtres qui s’y sont adonnés (comme Dürer, puis Burne-Jones, Aubrey Beardsley, Kipling, Lucien Pissarro - le fils de Camille -, ou encore, le moderniste Sidney James Hunt), l’art de l’ex-libris méritait qu’un historien s’y intéresse. C’est chose faite grâce à Martin Hopkinson, qui a exploré la très importante collection du British Museum.
Né à la fin du XVe siècle, héritier des miniatures qui, au Moyen Age, identifiaient les riches et nobles possesseurs de livres d’heures, l’ex-libris (en latin « provenant des livres de ») est une gravure, un dessin ou une aquarelle, exécutés par un professionnel ou un simple amateur afin de désigner, de manière plus ou moins directe, le propriétaire d’un livre, hic et nunc et aussi pour la postérité. De dimension modeste - un rectangle de quelques centimètres -, souvent crypté comme un rébus, l’ex-libris était ensuite collé sur la page de garde de l’ouvrage. Certains sont très explicites, comme ce portrait saisissant de l’humaniste et bibliophile Willibald Pirckheimer, de Nuremberg, ami intime d’Albrecht Dürer, qui ornait son exemplaire du De natura rerum de Lucrèce (et non de Cicéron, Mr Hopkinson).
Outre leur fonction première, personnalisation d’un ouvrage et témoignage de la passion d’un homme pour la littérature et le livre, les ex-libris sont aussi très révélateurs de leur époque, par leurs styles artistiques. On en trouve ainsi, de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à la guerre de 39-45, période qui peut être considérée comme l’« âge d’or » de ces précieuses vignettes, des orientalisantes, des décadentes, des néogothiques, des ésotériques, des érotiques. Comme les sublimes linogravures en couleurs de Sidney James Hunt, fan d’ex-libris où il fit passer son goût pour l’avant-garde - entre autres choses.
Il fallait être anglais pour célébrer ce petit pan d’histoire littéraire, l’élégance et l’élitisme de la bibliophilie, notions complètement anachroniques à l’heure du numérique. Il serait intéressant qu’un Hopkinson français effectue le même travail dans nos musées et bibliothèques, afin de mettre en lumière l’art des bookplates made in France. Passionnant et décalé, ce petit album marque la naissance d’un nouvel éditeur dont le nom, Bibliomane, est à la fois un programme et un manifeste.
J.-C. P.