Le nazisme n’a pu s’imposer seul. Comme d’autres totalitarismes, il a aussi eu besoin de l’appui de l’Université qui validait des thèses racistes et de professeurs qui enseignaient la haine. Si la pensée d’Hannah Arendt sur la banalité du mal nous est récemment revenue via un film, il est bon que soit enfin traduite cette étude pionnière publiée à New York en 1946, en plein procès de Nuremberg, par ce savant discret.
Max Weinreich (1894-1969) est l’un des fondateurs du Yivo, Institut pour la recherche juive fondé à Berlin en 1925, installé à Wilno - alors en Pologne - dans les années 1930, puis à New York depuis 1940. Il est aussi, avec son fils Uriel, l’auteur d’une imposante histoire de la langue yiddish.
Les documents publiés dans Hitler et les professeurs sont impitoyables pour une partie du milieu intellectuel qui a travaillé « main dans la main » avec des assassins pour « propager la théorie et la pratique antijuives des nazis dans les rangs des nations occupées et des pays satellites ».
Des chapitres brefs avec des citations éloquentes suffisent à dire l’essentiel sur un personnage ou sur ces instituts de recherches nazis qui dissimulent leur fanatisme sous des dénominations pseudo-scientifiques.
La première partie montre la contamination des idées par quelques grands noms comme le juriste Carl Schmitt évoquant « le combat idéologique contre la juiverie », le prix Nobel Philipp Lenard engagé contre la « physique juive » représentée par Einstein, l’historien de la littérature Hans Naumann favorable à l’autodafé des livres proscrits ou Heidegger voyant dans le nazisme « une révolution totale de notre existence allemande » en concluant d’un « Heil Hitler ! ».
Les « théories » rappelées dans les premiers chapitres trouvent leurs conséquences dans ceux de la seconde partie : l’extermination des Juifs en Europe. Il fallait au crime sa justification, et à l’antisémitisme sa légitimation. L’Allemagne et quelques autres pays - dont la France - eurent donc des chaires racistes, de la physique antijuive, de l’histoire xénophobe et de la médecine assassine.
Dans la recension qu’elle fait du livre à sa sortie dans Commentary, Hannah Arendt considère que Weinreich expose comment « la science allemande a fourni les idées et les techniques qui ont conduit à un massacre sans précédent » mais ne dit pas pourquoi. L’historien n’avait jamais prétendu le faire. Il s’était seulement fixé pour but d’« analyser la participation des élites universitaires allemandes aux crimes de l’Allemagne contre le peuple juif depuis 1933 ». Son livre n’explique pas la Shoah. Mais il permet de comprendre comment elle a été possible.
L. L.