Depuis deux ans, l’expression fleurit un peu partout dans les médias. Après la "chick-lit" et le "mummy porn", voici les "feel-good books", la dernière tendance à la mode venue tout droit des pays anglo-saxons. L’expression, calquée sur les "feel-good movies", désigne littéralement "les livres qui font du bien".
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Si les éditeurs ont bien une idée, aucun n’en a la même définition. "Ce n’est pas évident, reconnaît Marie Misandeau, éditrice au Cherche Midi. Je dirais que ce sont des livres qui font sourire, tout en nous confrontant à des sujets sombres comme la mort, la vieillesse ou la maladie. Il y a un côté pétillant, souvent amené par un style vif et drôle. C’est un remède à la morosité." Ancrées dans la vie quotidienne, ces histoires exaltent les valeurs d’humanité et d’entraide, avec happy end à la clé. Le lecteur est censé s’identifier, et refermer le livre le sourire aux lèvres.
Le public, majoritairement féminin, plébiscite ces ouvrages qui flirtent parfois avec le développement personnel. "Ce sont des livres qui font progresser, l’histoire de gens cabossés par la vie mais qui finissent par s’en sortir, affirme Carine Fannius, directrice éditoriale chez 10/18 et Pocket. Il y a une notion de résilience." Le développement personnel se mettant lui-même au roman, comme ce fut le cas avec Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une (Eyrolles) écrit par la coach Raphaëlle Giordano, la frontière est souvent ténue.
Mais dans les faits, chacun met un peu ce qu’il veut sous ce label. "Ce n’est pas aussi clair et segmenté que le polar ou le fantastique", remarque Philippe Robinet, président des éditions Kero. La notion de feel-good book ne répond en effet à aucune définition précise. Il s’agit en fait d’une appellation purement marketing donnée a posteriori à un ensemble d’ouvrages très variés. Elle couvre donc potentiellement un spectre immense, dont les pionniers seraient tantôt Paulo Coelho avec L’alchimiste, tantôt Anna Gavalda avec Ensemble, c’est tout. "On a juste mis un terme sur une catégorie de livres grand public qui existent depuis longtemps", résume Marie Misandeau.
Les Français s’y mettent
L’expression elle-même est apparue discrètement en France lors de la traduction en 2011 du roman du Suédois Jonas Jonasson, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire (Presses de la Cité), l’histoire d’un "fringant centenaire" qui va s’enfuir de sa maison de retraite pour vivre des "aventures rocambolesques" à travers la Suède.
Depuis, de nombreux auteurs anglo-saxons labellisés "feel good" ont eux aussi été traduits dans l’Hexagone, comme Annie Barrows, auteure du Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates (Nil), ou Jenny Colgan, qui a signé La petite boulangerie du bout du monde (éditions Prisma). "Au départ, les feel-good books, ce sont beaucoup d’auteurs étrangers. C’est moins évident pour les écrivains français. Ils sont plus dans l’autofiction déprimée, ce qui est pile à l’opposé de cette littérature populaire, souvent méprisée par les élites", estime Béatrice Duval. La directrice générale de Denoël affirme toutefois que de plus en plus de Français arrivent sur ce créneau : "J’ai refusé des dizaines de manuscrits", précise-t-elle. Une ancienne journaliste de Psychologie Magazine, Isabelle Artus, publie ainsi La petite boutique japonaise le 27 avril chez Flammarion, qui a fait flamber les offres de cessions à l’international. Véronique Cardi, directrice générale du Livre de poche, l’assure : "Le fait d’assumer le côté "bibliothérapie" est une tendance nouvelle". Karine Bailly de Robien, directrice éditoriale de Leduc.s, est quant à elle convaincue que "le feel-good book est en train de gagner ses lettres de noblesse en France. Il a une visibilité qu’il n’avait pas avant."
Réticences
Quelques noms ont déjà réussi à se faire une place de choix. Les stars françaises du "roman qui fait du bien" s’appellent Gilles Legardinier (passé par un retentissant transfert de Fleuve éditions à Flammarion), Romain Puértolas (Le Dilettante), Grégoire Delacourt (Lattès), Agnès Ledig (Albin Michel), Laurent Gounelle (Kero), Agnès Martin-Lugand (Michel Lafon) ou encore Jean-Paul Didierlaurent (Au Diable vauvert), lui aussi estampillé, à son corps défendant, "auteur feel good".
L’étiquette désespère son éditrice, Marion Mazauric. "Si Jean-Paul Didierlaurent devient un écrivain "feel good", je mange mon chapeau ! Car c’est enfermer un écrivain formidable dans un concept marketing. Ce n’est pas l’aspect populaire qui me dérange, mais le côté produit versus artiste. Le marketing ne doit pas prendre le pas sur le contenu." D’autres éditeurs, comme Lattès et Le Dilettante, affichent la même réticence. "Moi, je ne suis pas un pharmacien mais un éditeur. Je découvre ça, les feel-good books. On me dit que c’est dans l’air du temps. Mais je ne raisonne pas en termes de "livre qui fait du bien"", souligne Dominique Gaultier (Le Dilettante), qui a publié L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, de Romain Puértolas.
Loin de ces considérations, les éditions Leduc.s ont, au contraire, creusé le sillon en lançant Charleston en 2013, dont la ligne éditoriale est "le feel-good book au féminin". "La ligne de Leduc.s c’est "des livres pour mieux vivre". Donc là, l’angle choisi a naturellement été "des romans pour mieux vivre"", explique Karine Bailly de Robien. Une quarantaine de romans, tous piochés parmi les best-sellers étrangers, ont été publiés jusqu’ici. "Le feel good est le mot-clé du renouveau chez Pygmalion" assure sa directrice Florence Lottin, citant la parution des Aventures improbables de Julie Dumont de Cassandra O'Donnell le 23 mars.
Une tendance du marché
A défaut de plaire à tous, l’étiquette "feel good" est porteuse. En cette époque troublée, le bonheur fait lire. Les éditeurs s’adaptent. "La demande des lecteurs est très forte. On le constate avec les meilleures ventes et les retours qu’on a sur les réseaux sociaux, donc il faut qu’on propose ce genre de romans", explique Florian Lafani, responsable du développement numérique chez Michel Lafon. Il est particulièrement attentif à ce qui se fait dans l’autoédition, où il a déniché Agnès Martin-Lugan (Les gens heureux lisent et boivent du café), et Carene Ponte (Un merci de trop).
"Comme c’est une tendance du marché, il faut un ou deux feel-good books dans le catalogue. Il y a des enjeux commerciaux", renchérit Valérie Miguel-Kraak, directrice éditoriale chez Fleuve éditions. Le Cherche Midi se positionne aussi sur le créneau. "Pour la publication du dernier roman de Stéphane Carlier, Les gens sont les gens, on l’a joué sur ce mode, avec un bandeau disant que c’était "le roman antidépresseur", explique Marie Misandeau. C’est une façon de donner une indication au libraire et au lecteur. On utilise ça en ce moment parce qu’il y a une demande du public, et à la prochaine tendance, on fera autre chose !"
Pas de rayon dédié
De là à créer un rayon à part entière, il y a un pas. Hormis Charleston et Prisma, pour lesquelles le feel-good book est une déclinaison à part à l’intérieur de leurs lignes de romans féminins, personne n’envisage de le faire. "On a intérêt à bien identifier ce genre de livres pour répondre à l’engouement des lecteurs, mais pas au point de faire une collection. On n’en a pas besoin puisqu’ils sont déjà repérés comme tels", explique Carine Fannius (10/18, Pocket).
Un autre problème se poserait : quels romans classer dans une telle catégorie ? Puisque le feel-good book n’est pas un genre littéraire, et que sa définition est élastique, "ce serait tout ou rien, poursuit l’éditrice. Et si un livre n’y figure pas, cela signifierait-il alors qu’il n’est pas drôle ?" Au Cherche Midi, on estime qu’un tel rayon serait "trop éphémère". "Tant mieux si ce que font nos auteurs colle à la tendance du moment, car on les porte et fait grandir grâce à elle, note Marie Misandeau. Quand je fais les foires aux livres, je suis d’ailleurs plus attentive à ce type de romans. Mais on ne va pas faire de collection dédiée pour autant."
De fait, contrairement à la chick-lit ou à d’autres appellations en vogue ces dernières années, le feel-good book ne serait pas déclinable. "Fabriquer ce genre de livres avec des recettes ne fonctionne pas. Il faut une part d’originalité, de naïveté et de bienveillance qui ne soient pas feintes et qui ne sont pas reproductibles à l’infini, contrairement au romantisme pimenté de Cinquante nuances de Grey §", argumente Béatrice Duval (Denoël).
Au final, le feel-good book est surtout une appellation à usage professionnel. "C’est une segmentation de mon catalogue. On l’utilise entre éditeurs, mais pas auprès du grand public", indique Valérie Miguel-Kraak. Valentine Spinelli, scout littéraire pour V et P scouting, confirme : "C’est un label intéressant entre professionnels pour catégoriser un livre et inciter à le lire dans la masse des autres romans. Dès qu’il y a une jolie histoire et une fin heureuse, c’est estampillé comme tel. Mais il y a des excès. Un éditeur m’a vendu un livre comme un feel-good book, ce qui n’était pas le cas. Certains veulent juste mettre l’étiquette parce qu’ils savent que ça va faire vendre." Si l’expression "feel-good book" peut finir par passer de mode, les livres qui font du bien, eux, continueront d’exister, comme c’est le cas depuis des décennies.
"Je ne me suis pas adapté au paysage littéraire français"
Romain Puértolas a connu un succès planétaire avec son premier roman en 2013, L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea (Le Dilettante). Il explique son rapport au feel-good book.
Romain Puértolas - Un regard positif. Quand j’ai écrit le Fakir, j’ai juste voulu faire un livre qui me ressemble. J’écris tel que je suis, et il s’avère que je suis une personne feel-good. Cela transparaît dans mes romans. Je suis un "happyculteur".
Je suis un grand fan de Jules Verne. C’est un clin d’œil à sa saga des "Voyages extraordinaires". Il vient aussi des histoires pour enfants, dont les titres des chapitres étaient un petit résumé du type "Où l’on va voir que le héros va rencontrer, etc." Au final, mon titre ressemble à celui d’un conte.
J’ai écrit le texte en trois semaines sur mon téléphone portable et je l’ai envoyé sans trop y croire, donc oui, cela fut une grosse surprise. C’est une grande fierté et une leçon, parce que je ne me suis pas adapté au paysage littéraire. Mon histoire n’a rien à voir avec ce qui se publie en France, où je ne trouve pas ce que j’aime : des histoires déjantées et qui font sourire. La littérature française est très classique, snob, complexe et dépressive. Moi, j’ai fait ce que je voulais, et je me suis aperçu qu’il y avait un public en France pour cela, qui avait aussi envie de s’évader.
Je l’ai déjà écrite, mais je ne l’ai pas encore soumise à mon éditeur. C’est sur l’enfance du fakir. Je ne pensais pas en faire une, mais mes lecteurs me la réclamaient, et un jour les premières phrases sont venues. Mais ça ne paraîtra qu’après le film de Marjane Satrapi [qui adapte le Fakir au cinéma], donc pas avant 2018. J’ai une idée toutes les cinq minutes, mes éditeurs ne pourraient plus suivre ! Donc je fais une pause. J’ai aussi déjà écrit la première page du troisième tome du Fakir, alors que je ne voulais pas ! En parallèle j’écris un autre roman, très feel-good, très lumineux. J’ai du temps, donc je les fignole.
Signes distinctifs
On reconnaît généralement un feel-good book à certains indices qui ne trompent pas : des titres à tiroirs, des couvertures acidulées, décalées ou ornées de chats trop mignons.
Puisque aucun rayon dédié n’existe pour les feel-good books, les éditeurs jouent sur les codes visuels permettant de les identifier facilement. Un soin particulier est apporté à la couverture, chaleureuse, colorée, décalée, et au titre, souvent à rallonge. "Ce sont des éléments capitaux. On essaie de susciter le sourire. C’est un peu une marque de fabrique", résume Florian Lafani, éditeur chez Michel Lafon.
Les traductions héritent souvent d’un nouveau titre et d’une nouvelle couverture pour coller à cet esprit. Dans son édition originale, Levieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire avait une couverture "vieillotte et moche, juge Béatrice Duval, directrice générale de Denoël mais, à l’époque, éditrice aux Presses de la Cité. C’était des tons ternes, avec une silhouette de vieux marchant dans la ville." Elle a donc apporté "de la fraîcheur avec des couleurs vives, qui donnent une touche d’humour", et introduit un décalage avec le "visage sévère du vieux portant un costume rose". Elle a aussi bataillé pour remplacer "centenaire" (qui figurait dans le titre original) par "vieux", un terme familier qui crée une "proximité" avec le lecteur. Quand il a vu le résultat, l’auteur, Jonas Jonasson, était "hystérique", raconte-t-elle. "Il a insulté son agent et demandé qui était cet éditeur qui n’avait même pas lu son livre puisqu’il représentait une scène qui n’était pas dedans." Au final, la couverture a si bien marché qu’elle a été reprise dans dix pays.
Béatrice Duval a réitéré chez Denoël avec La bibliothèque des cœurs cabossés de Katarina Bivald, en ajoutant en couverture un chat qui n’existe pas dans le livre. Mais "quand on met des chats en couverture, ça se vend". L’animal est d’ailleurs la vedette des couvertures des best-sellers de Gilles Legardinier édités chez Fleuve éditions.
C’est de nouveau un animal qui figure en couverture du Théorème du homard de Graeme Simsion (Nil). Mais à son passage en poche, le titre comme la couverture ont subi un traitement spécial : le roman est devenu Comment trouver la femme idéale - le sous-titre de la version grand format -, tandis que le homard a atterri sur le porte-bagages d’un vélo à côté d’un bouquet de roses. "Je change rarement les titres en poche, mais là c’était plus drôle comme ça", argumente Carine Fannius.
"Parfois on se plante"
"On se creuse vraiment la tête pour trouver la couverture qui convient, affirme Marie Misandeau, au Cherche Midi. On s’inspire des Anglo-Saxons, dont les couvertures sont très décomplexées, alors qu’en France elles sont souvent austères." Mais elle l’admet : "Parfois on se plante." Elle raconte ainsi avoir tapé à côté en titrant Grand amour un roman de Stéphane Carlier. "C’était une comédie feel-good, mais la couverture (le haut du visage d’une femme sur fond rose bonbon) était trop romantique, cela n’a pas séduit les lecteurs, alors que le livre est très drôle".
Pour essayer de limiter les risques, les éditions Charleston - le label sentimental de Leduc.s - plébiscitent les tests. Elles s’en remettent carrément à leur groupe de dix lectrices triées sur le volet, à qui elles donnent le choix entre différentes couvertures. "Quand ce sont des comédies, on opte pour des couleurs acidulées, et pour les romans plus historiques, on joue le côté mystérieux et féminin", détaille l’éditrice, Karine Bailly de Robien.