En 1571, au cours de la bataille de Lépante, un soldat perd l'usage de la main gauche. Cela lui vaut le surnom de "Manchot de Lépante", mais on le connaît mieux sous le nom de Miguel de Cervantès.
L'auteur de Don Quichotte de la Manche fait une discrète apparition dans le tableau brillant d'Alessandro Barbero. Il n'en est évidemment pas le personnage principal. Le propos de l'historien italien, qui s'est déjà illustré par quelques récits fameux de batailles comme celle, peu connue, d'Andrinople le 9 août 378 (Le jour des barbares, Champs-Flammarion, 2010) ou celle, célébrissime, de Waterloo (Champs-Flammarion, 2008), est avant tout de raconter ce choc épique des galères entre l'Orient et l'Occident.
La bataille navale en elle-même n'occupe que les tout derniers chapitres. L'essentiel de cet ouvrage extrêmement précis, qui va jusqu'à donner en annexe le nom de chaque galère chrétienne et celui de son capitaine, se concentre sur la description du monde d'alors, cette Méditerranée faite de commerce et de querelles. Tout commence avec l'invasion par les Turcs de Chypre, alors possession vénitienne. Le pape Pie V en profite pour appeler à la guerre. Il obtiendra une bataille et l'appui de l'Espagne.
D'un côté, la flotte turque d'Ali Pacha, fleuron de l'Empire ottoman, qui règne sur les mers depuis Soliman le Magnifique. De l'autre, une flotte chrétienne comprenant des navires espagnols, vénitiens, génois, pontificaux et maltais sous le commandement de don Juan d'Autriche, fils naturel de Charles Quint et demi-frère du roi d'Espagne Philippe II.
La flotte chrétienne, forte de quelque 200 galères, se rassemble à Messine. Le 7 octobre 1571, elle attaque les 300 navires de la flotte ottomane, qui subit une défaite aussi inattendue que sévère. Avec un lourd bilan : plus de 30 000 morts.
Cet ouvrage pourrait apparaître plus savant et moins "grand public" que les précédents. Il n'en est rien. Barbero maîtrise parfaitement son sujet et sa narration. Il s'attache à nous présenter tous les préparatifs de la bataille : le ballet diplomatique, la construction des navires, le recrutement des soldats, l'enrôlement des forçats et des vagabonds comme galériens, etc. Un peu comme dans Le rivage des Syrtes de Julien Gracq, on attend et on observe les comportements, les alliances, les inquiétudes. Jusqu'à l'assaut final qui révèle la supériorité des chrétiens, due à leur puissance de feu et à leur capacité à éperonner les vaisseaux ennemis.
Dans La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Braudel se demandait si la bataille de Lépante était une victoire sans conséquences. Barbero montre qu'elle eut peu de répercussion dans le rapport des forces en Méditerranée et explique que ce fut surtout une affaire d'impact émotif et de propagande pour le monde chrétien. Car, dès 1573, Venise dut abandonner Chypre aux Turcs...