Pour les critiques, c’est la balance parfaite entre intelligence littéraire et potentiel commercial qui permettra à
Hervé le Tellier (
L'Anomalie, Gallimard) de gagner le Goncourt, lundi 30 novembre, face à
Camille de Toledo (
Thésée, sa vie nouvelle, Verdier),
Djaïli Amadou Amal (
Les impatientes, Emmanuelle Collas) et
Maël Renouard (
L’historiographe du royaume, Grasset).
Son roman,
L’Anomalie est
"à la fois grand public et littéraire", selon
Raphaëlle Leyris, journaliste littéraire au
Monde des livres. Il est d’ailleurs "
le seul à apparaître dans les meilleures ventes", relève
Marianne Payot, rédactrice en chef adjointe livres à l
’Express.
Ce Goncourt, qui sera décerné via une visioconférence Zoom, arrivera deux jours après la réouverture des libraires. Selon
Pierre Maury, journaliste au
Soir,
L’Anomalie est dans ce sens
“un roman parfait pour redonner le moral aux libraires, aux lectrices et aux lecteurs”.
Reflet d’une époque
Selon les critiques, cette fiction est ancrée dans l’actualité et
"donne à voir le meilleur et le pire de notre époque”, indique
Hugues Honoré, journaliste à l’AFP. Elle
"résonne follement avec la quête de sens à laquelle nous obligent les temps étranges que nous traversons", abonde
Anna Cabana du
JDD. Hervé Le Tellier, président de l'Oulipo, met en scène les passagers d’un vol Paris-New York qui voient leur vie bouleversée par un événement irréel.
“C’est un vrai bon roman populaire dopé par la malice et la fantaisie propres à l'Oulipo”, ajoute par ailleurs Raphaëlle Leyris.
Toutefois, nombreux sont les critiques qui regrettent l'absence de Laurent Mauvignier et de son roman
Histoires de la nuit, paru chez Minuit.
"Lorsque j'ai lu Histoires de la nuit
de Laurent Mauvignier cet été, j'étais persuadé de tenir entre les mains le futur Goncourt”, assure
Alexis Brocas, rédacteur en chef adjoint au
Nouveau Magazine littéraire.
"Par quelle anomalie peut-on ignorer par exemple des auteurs de la trempe de Laurent Mauvignier ou de Marie-Hélène Lafon, deux stylistes d’exception ?", s'interroge
Bernard Lehut, journaliste chez
RTL.
De ces pronostics, on peut aussi noter un attachement des critiques vis-à vis de Verdier et de son auteur en lice, Camille de Toledo. "
Ce serait merveilleux que la maison d’édition indépendante Verdier qui a fêté ses 40 ans soit récompensée avec Camille de Toledo, auteur intense et exigeant", note ainsi
Catherine Fruchon, journaliste à RFI.
L’année dernière, les journalistes avaient vu juste en prédisant la victoire de Jean-Paul Dubois pour
Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon (L'Olivier). Verdict lundi 30 novembre à 12h30 sur Zoom.
Qui l'aura ?
Hervé Le Tellier : 11 voix
Camille de Toledo: 2 voix
Djaïli Amadou Amal : 1 voix
Maël Renouard: 1 voix
Qui le mérite ?
Hervé le Tellier : 4 voix
Laurent Mauvignier : 4 voix
Camille de Toledo: 3 voix
Emmanuel Carrère : 2 voix
Marie Nimier : 1 voix
Djaïli Amadou Amal : 1 voix
Marie-Hélène Lafon: 1 voix*
*Un critique a donné deux noms
- Alexis Broca - Le nouveau magazine littéraire
Qui l’aura ?
Je pense que le livre de Hervé Le Tellier,
L'Anomalie, va remporter le Goncourt pour toute une série de raisons. Le Tellier est un bon auteur, auquel ses tropismes oulipiens barraient une entrée au Goncourt. Là, il utilise, semble-t-il, des procédés oulipiens à des fins autres. Il s'agit aussi de penser aux libraires, et
L'Anomalie est, des quatre, celui qui me semble avoir le plus gros potentiel commercial.
Qui le mérite ?
Lorsque j'ai lu
Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier cet été, j'étais persuadé de tenir entre les mains le futur Goncourt. C'est bien simple, ce livre a tout : par son intrigue, c'est un thriller, qui raconte la prise d'otage d'une famille paysanne en pleine campagne. Et par son style, c'est un livre extraordinaire, tressé de phrases serpentines capables d'agréger dans leur mouvement vie intérieure des personnages, description, dialogues, et d'épouser tous les détails du réel. Et comme Mauvignier se sert de cette écriture pour distendre le temps ou le comprimer, ça donne des séquences d'un suspense à s'en faire sauter les molaires, des personnages révélés sous toutes leurs facettes... Une lecture inoubliable.
Qui l’aura ?
Hervé Le Tellier. Pourquoi l’académie résisterait à un roman qui est non seulement l’exquise surprise de cette rentrée mais qui en plus résonne follement avec la quête de sens à laquelle nous obligent les temps étranges que nous traversons ? Comment ne pas être particulièrement sensible à ce cumulonimbus qui frappe le vol AF006 Paris-New York et fait passer nos certitudes à la lessiveuse ? Le Tellier joue avec nous et avec ses personnages, jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de démêler le tragique du drolatique. Parce qu’il vaut mieux en rire de peur d’être obligé d’en pleurer.
Qui le mérite ?
Laurent Mauvignier pour
Histoires de la nuit (Editions de Minuit). On veut croire que si les jurés ne lui ont même pas fait passer le cap de leur première sélection, c’est faute d’avoir pris le temps d’aller au bout de ces 650 pages. Car qui s’accroche aux reliefs de la peinture des premiers chapitres restera entêté, longtemps, très longtemps, par l’effroyable puissance de cette écriture qui malaxe, étire, dilate et dissèque, et avec quelle virtuosité, le temps et l’angoisse. Assurément le roman le plus magistral de cette rentrée française – et peut-être des cinq dernières…
Qui va l’avoir ?
Si les Goncourt souhaitent mettre en avant un auteur jeune, plein d’avenir, alors Maël Renouard est le candidat idéal. Son livre est son vrai premier roman et l’auteur fait montre d’une belle maîtrise dans l’écriture. S’ils souhaitent consacrer un auteur, comme Dubois l’an passé, alors il faut choisir Hervé Le Tellier dont la bibliographie est fournie et remonte au début des années 90.
Qui le mérite ?
Hervé Le Tellier. Son roman est un peu l’OLNI, l’objet littéraire non identifié, de cette rentrée : ludique, intelligent, mélange de genres littéraires (pastiche de polar, fantastique), jeu avec les mots, les structures. Un régal !
Qui l’aura ?
Je n’en sais rien - Hervé Le Tellier, dit-on.
Qui le mérite ?
Le récit de Camille de Toledo est très beau, très universel en dépit de la singularité de l’expérience qu’il décrit, très contemporain par son hétérogénéité formelle, entre histoire et autofiction, entre poésie, mythologie et psychogénéalogie. Et Verdier est une si belle maison d’édition.
Qui l’aura ?
Hervé Le Tellier a toutes ses chances, car
L’Anomalie est vraiment un roman enthousiasmant ! Une fiction à la fois très contemporaine avec cet incroyable « accident d’avion » raconté en deux temps et par la voix d’une multitude de personnages très attachants et aussi une réflexion intemporelle sur la question du « double ». Divertissant, passionnant, sérieux sous le jeu, ce livre ferait un très bon Goncourt.
Qui le mérite ?
Ce serait merveilleux que la maison d’édition indépendante Verdier qui a fêté ses 40 ans soit récompensée avec Camille de Toledo, auteur intense et exigeant qui avec
Thésée, sa vie nouvelle croise la mythologie avec les angoisses de notre temps à travers le portrait bouleversant d’un homme en souffrance. Un livre qui en superposant les époques interroge la question de l’héritage. Une invitation aussi à sortir de l’enfermement et chercher la sortie de nos labyrinthes. Un texte en élévation.
Qui aura le Goncourt ?
Aucune idée. Peut-être Camille de Toledo, mais je doute d’être un bon parieur. J’imagine surtout que l’édition 2020 restera celle où les jurés ont été plus que jamais forcés de se concentrer sur la qualité littéraire. Délibérer par visioconférence contraint à des argumentaires plus brefs et percutants, sous peine de fatiguer les autres. Les apartés sont compliqués à improviser. Sans être du sérail, on peut supposer que les intrigues souvent reprochées au Goncourt ont eu moins de place.
Qui le mérite ?
Hervé Le Tellier.
L’Anomalie est un roman total qui donne à voir le meilleur et le pire de notre époque. Le meilleur dans sa forme, à la fois intelligente et divertissante comme peuvent l’être nombre de productions culturelles aujourd’hui. Ce serait une preuve de la vitalité de notre littérature. Le pire aussi, puisqu’il dénonce les travers d’une société occidentale qui veut expliquer et contrôler tous les aspects de la vie, mais qui n’y parviendra évidemment jamais, comme le prouve l’actualité.
- Nelly Kaprièlian - Les Inrockuptibles
Qui l’aura ? L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, qui a déjà tous les atouts d’un best -seller à la Dan Brown, déguisé en roman philosophique voire métaphysique, et « bien écrit », sans imposer un style ni une voix. Un divertissement, pas franchement littéraire, qui à mon sens n’avait pas sa place sur une sélection Goncourt.
Qui devrait l’avoir ? Yoga d’Emmanuel Carrère, l’ample et beau livre de la rentrée littéraire, qui pose des questions autrement plus existentielles que le Le Tellier, et qui a pourtant été éjecté de la première sélection, sans doute au prétexte que c’est un récit, pas une « œuvre d’imagination » comme l’exige le règlement du prix Goncourt. Règlement qu’il serait temps d’amender, la face de la littérature ayant changé depuis 1903 !
Qui l’aura ?
Ai-je le droit de dire en préambule que cette sélection finale me paraît assez faible et que les choix des Goncourt, particulièrement cette année, me laissent perplexe ? Oui, j’ai le droit ! Par quelle anomalie peut-on ignorer par exemple des auteurs de la trempe de Laurent Mauvignier ou de Marie-Hélène Lafon, deux stylistes d’exception doués qui plus est d’un remarquable sens de la narration, l’un dans l’opulence, l’autre dans la concision ? À cette aune-là, parmi les 4 finalistes, c’est encore Hervé le Tellier qui tire le mieux son épingle du jeu. Va donc pour cette anomalie-là.
Qui le mérite ?
Marie-Hélène Lafon ou Laurent Mauvignier, je persiste et signe !
- Grégoire Leménager - L’Obs
Qui l’aura ?
Hervé Le Tellier. Parce que son
Anomalie se savoure comme une série télé, déroute comme une démonstration mathématique et réjouit comme un exercice oulipien avec l’idée que «
toute certitude poignarde l’intelligence ». Le Goncourt est aussi là pour couronner, parfois, comme il l’a fait avec Jean Echenoz en 1999, une littérature au second degré quand elle est si brillamment pratiquée.
Qui le mérite ? Yoga d’Emmanuel Carrère (mais si, mais si).
- Raphaëlle Leyris - Le Monde
Qui l’aura ?
Je parie sur Hervé Le Tellier, dont
L’Anomalie (Gallimard) ferait un lauréat à la fois grand public et littéraire. C’est un vrai bon roman populaire dopé par la malice et la fantaisie propres à l’Oulipo que l’auteur préside.
Qui le mériterait ?
Je ne m’explique pas qu’
Histoires de la nuit, de Laurent Mauvignier (Minuit), n’ait même pas figuré sur la liste initiale du Goncourt, et qu’il n’ait pas obtenu le seul prix pour lequel il concourrait, le Medicis. Mauvignier et Goncourt, voilà qui vous aurait eu une sacrée allure.
- Valérie Marin La Meslée - Le Point
Qui l’aura ?
Camille de Toledo. D’une haute exigence littéraire, audacieux dans sa forme, ce livre rassemble autant d’émotions que de champs de réflexion : prouesse stylistique de l’ordre de l’intime face à la perte des êtres chers, il touche aussi aux enjeux de société, par ses questions incarnées sur la logique de croissance, au questionnement religieux à travers la transmission de la judéité, et au corps. En prise totale avec son époque, sans céder à aucune mode, il admirablement mis en mouvement. Et publié chez un éditeur qui mérite ô combien cette distinction !
Qui le mérite ?
Djaïli Amadou Amal. Ce choix pourrait éclairer à la fois la situation de la femme dans un pays africain, le talent romanesque de l’autrice qui a choisi le français pour langue d’écriture, son parcours d’ écrivaine combattante, l’engagement d’une éditrice française qui l’a repérée hors des circuits littéraires convenus. Ce serait une façon de marquer l’histoire du Goncourt par une ouverture inédite au vaste monde, misant là sur un livre grand public qui tout en dévoilant des codes sociaux loin des nôtres donne à la littérature son rôle de découvreuse d’humanité, d’où qu’elle soit.
Qui l’aura ?
Hervé Le Tellier, parce que
L’Anomalie est un roman parfait pour redonner le moral aux libraires, aux lectrices et aux lecteurs (ceux-ci l’ont déjà compris). Il se dévore comme une série télévisée très haut de gamme, avec de l’intelligence, de l’humour et même de quoi donner à réfléchir. L’écrivain Victor Miesel, dans le livre, est le grigri dont son géniteur a besoin : présent dans les premières sélections des prix littéraires, il en a été éjecté à l’étape suivante. Voilà l’occasion pour les jurés de passer l’oral de rattrapage.
Qui devrait l’avoir ?
Le même, parce qu’il est temps de saluer un Oulipien romancier. Deux Goncourt de la nouvelle dans la bande (Jacques Bens et Paul Fournel), c’est insuffisant. Par ailleurs, malgré le courage de Djaïli Amadou Amal et la détresse de Camille de Toledo, leurs ouvrages souffrent de la comparaison. Je sais, je n’ai pas cité Maël Renouard.
L’historiographe du Royaume m’a impressionné et, au fond, je ne serais pas fâché s’il était le lauréat cette année.
- Ilana Moryoussef- France Inter
Qui va gagner ?
Hervé Le Tellier. C'est un bon roman et un livre qu'on peut offrir facilement.
Qui le mérite ?
Camille de Toledo. Sans conteste l'un des livres les plus forts et les plus littéraires de la rentrée.
- Marianne Payot - L’Express
Qui aura le Goncourt ?
Hervé Le Tellier. Même si le navire Gallimard n’avait pas forcément misé au départ sur cet auteur non « historique » (en provenance de Lattès dans la besace de Karina Hocine), il a déroulé
in fine toute sa puissance pour appuyer l’écrivain oulipien et son anomalie, un roman très apprécié par la critique. Il est le seul, par ailleurs, des quatre derniers sélectionnés à apparaître dans les meilleures ventes, une donnée importante aux yeux du jury qui souhaite toujours voir le coefficient multiplicateur de son prix jouer à plein.
Qui le mérite ?
Marie Nimier qui, avec
Le Palais des orties (Gallimard), se révèle une experte
ès natures dévidant magnifiquement l’écheveau des sentiments et explorant avec maestria les tréfonds du désir. Ou bien, Marie-Hélène Lafon, dont
Histoire du fils (Buchet-Chastel), saga familiale savamment orchestrée, démontre avec éclat que la romancière du Cantal est une digne représentante de la lignée de Pierre Michon et de ses « gens de peu ».
- Pierre Vavasseur - Le Parisien
Qui l’aura ?
D’un boyau, comme on dit en course cycliste, ce sera Djaïli Amadou Amal, Camerounaise, qui l’emportera pour
Les Impatientes devant Hervé Le Tellier et
L’Anomalie chez Gallimard. Il me semble que dans une année aussi singulière que 2020, les jurés vont en profiter pour se démarquer franchement et rendre d’une pierre trois coups : promouvoir une « petite » maison d’édition indépendante ; défendre la condition des femmes au prisme du viol et de la soumission domestique ; et récompenser pour la première fois une auteure de l’Afrique subsaharienne.
Qui le mérite ?
Hervé Le Tellier et son roman d’anticipation si proche de notre univers pour un roman tout à fait unique, sorte de maëlstrom de genres, de situations sentimentalement très humaines, de rebondissements géopolitiquement très probables, d’interrogations de haut-vol sur le réel et le virtuel, du sens ou du non-sens de notre rôle dans la vie, bref un joyeux gloubiboulga qui tient pourtant, au final, sérieusement la route. Il est amusant de se remémorer que le premier lauréat du Goncourt, John-Antoine Nau pour
Force ennemie qui était un roman de pure science-fiction.