Aude Seigne.- Photo YVONNE BÖHLER

Suisse, jeune, très jeune même - 26 ans -, grande, très grande..., Aude Seigne vient de faire une entrée remarquée dans la confrérie des écrivains voyageurs, en infusant dix ans de bourlingue acharnée à travers le monde dans un petit livre épatant, récompensé en juin dernier par le 5e prix Nicolas-Bouvier au festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo. Une reconnaissance précoce et symbolique pour cette Genevoise biberonnée aux écrits de son célèbre compatriote. D'autant que ses Chroniques de l'Occident nomade publiées en février par un petit éditeur associatif de Lausanne, Paulette éditions, ressortent sous la couverture de Zoé, l'éditeur de Bouvier.

C'est la nouvelle directrice, Caroline Couteau, qui, séduite par cette "petite perle", a proposé d'en racheter les droits à Paulette, dont Zoé assurait déjà la diffusion pour la Suisse. "Le trajet jusqu'à Zoé est un petit miracle qui arrange tout le monde : Paulette, parce que l'éditeur, Sébastien Meyer, n'était plus en mesure d'assurer le suivi d'un prix Bouvier ; Zoé, parce qu'ils ont aimé ce livre ; et moi, parce que c'est un grand honneur d'être publiée chez eux », commente l'auteure.

"Je ne suis pas, je crois, un "écrivain voyageur"", dit-elle pourtant. Le besoin intime du voyage, Aude Seigne l'a reconnu la première fois à 15 ans lors d'un séjour en Grèce avec un groupe d'adolescents. Auteure d'un premier livre, un recueil de poèmes, elle précise qu'elle a toujours (et depuis longtemps) écrit sur l'intériorité : "Et il se trouve que j'aime voyager, c'est tout. C'est là que se trouve le lien."

La jeune femme n'est en tout cas ni journaliste, ni ethnologue, ni guide touristique. Ne comptez pas sur son livre pour vous aider à préparer votre prochain voyage : ces chroniques ne donnent aucun conseil. Sautent allègrement d'un continent à l'autre. Voyagent autant dans le temps que dans l'espace, sans chronologie ni carte. Ce n'est pas non plus un journal de bord, pas plus qu'une profession de foi. Mais des réflexions rêveuses, des évocations vagabondes (une belle échappée autour du mot "ravissement") qui mettent en correspondance des pays - Syrie, Burkina Faso, Italie, Ukraine, Inde, Australie, Russie... - avec des bouts de souvenirs, des images, des gens, comme autant d'éclats de cet "état nomade » cher à Bouvier. Pas étonnant que le thème du mémoire de master en littérature française qu'elle a soutenu récemment s'intitule "Le fragmentaire dans la littérature de voyage : de Henri Michaux à Nicolas Bouvier et Lorenzo Pestelli"...

La fraîcheur sans la candeur

Aude Seigne semble avoir incorporé ses lectures et ses admirations, les honorant sans se sentir accablée par l'héritage, pour trouver un ton personnel et contemporain, la voix de la voyageuse occidentale du XXIe siècle, qui allie la fraîcheur de la jeunesse - sans la candeur - à la sagesse de l'expérience et n'idéalise jamais le statut du voyageur. Et on est impressionné autant par le recul et la maturité d'introspection que par la haute qualité littéraire du récit. Par cette singulière inscription dans le monde, à la fois distante, gracieuse et déliée.

Aude Seigne n'est pas partie depuis trois ans, loin et longtemps, dans un de ces "voyages fous et insensés », comme elle les qualifie avec une pointe d'autodérision. Rentrée proche du burn-out de son dernier périple - un séjour à Damas -, elle avait besoin de digérer. "Alors je suis restée et j'ai essayé la vraie vie", écrit-elle. Provisoirement, semble-t-il, puisqu'elle affirme : "J'ai et j'aurai toujours des désirs de voyage, mais maintenant mes désirs sont plus nuancés. Pour moi, il est aujourd'hui évident que le livre marque la fin d'une période, même si je n'en avais pas forcément conscience en l'écrivant. Même si je recommençais à voyager de manière obsessionnelle, même si je repartais seule, sac au dos, pendant plusieurs mois, je ne le vivrais pas du tout de la même façon. J'ai conscience aujourd'hui de choses que j'ignorais à l'époque et je sais que les Chroniques sont empruntes d'un émerveillement et d'une naïveté que j'assume tout à fait. Mais ils ne sont plus moi. » En attendant, elle gagne sa vie comme rédactrice Web pour le site officiel de la ville de Genève et a un projet d'écriture autour d'un séjour un peu plus long dans une ville, séjour "qui a été très interrogateur pour moi ». Mais elle veut laisser mûrir. Plus tard, elle voudrait trouver un travail "peut-être plus créatif", et qu'elle aimerait, "si possible, pratiquer de n'importe où dans le monde". "On a le droit de rêver !" A cet âge-là, c'est même un devoir.

Chroniques de l'Occident nomade, Aude Seigne, Zoé, ISBN : 978-2-88182-710-5, 144 pages, 16 euros, sortie le 6 octobre.

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