Carola Saavedra, traduite pour la première fois en français, nous arrive avec le titre de jeune talent - elle a moins de 40 ans - de la littérature brésilienne. Paysage avec dromadaires, son troisième roman, qui a reçu au Brésil le prix Rachel-de-Queiroz, est en cours de traduction en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne, tant l’histoire d’amour à trois qu’il raconte s’inscrit dans une forme très internationale du roman psychologique contemporain.
Les coulisses tragiques d’un triangle amoureux, donc : un couple d’artistes, Alex, photographe reconnu, et Erika, peintre et sculptrice, adjoint de la très jeune et si "douce" Karen, une élève d’Alex. Partant, on s’attend à une mise en récit assez classique avec jalousies intestines, pygmalions manipulateurs, pactes pervers et érotisme en réunion… Pourtant, le roman de Carola Saavedra traite son sujet de façon plus intrigante qu’un simple marivaudage sentimental. Sa première originalité vient du fait que la romancière parvient à faire exister la plus jeune femme autrement que comme une pâle pièce rapportée. Elle installe ainsi un jeu plus ouvert, un réseau d’échanges désirants plus complexe entre les membres du trio, même si la seule version de l’histoire est donnée par Erika et même s’il s’agit d’un état des lieux posthume puisque, quand le roman commence, la jeune Karen est morte d’un cancer et que sa disparition a fait éclater le duo primitif.
L’autre caractère astucieux du livre est que l’évocation de la relation passe par la voix d’Erika, littéralement. Celle-ci, repliée chez des amis sur une petite île isolée, enregistre sur un magnétophone des messages à destination d’Alex, privilégiant le son plutôt que l’image. Là encore, on pourrait craindre un principe de narration un peu artificiel, le risque d’une parole en différé qui sonne faux, mais ce côté oral-écrit qui combine la spontanéité brouillonne d’une conversation téléphonique à l’intimité construite d’une correspondance épistolaire fait entendre un écho tenace longtemps après la fin de la lecture. V. R.