Quelque 507 romans paraissent en janvier et février 2025 (+5,2 % par rapport à 2024), traduisant une légère augmentation de la production en cette rentrée d'hiver. Le constat s'applique aux fictions en langue française avec 366 titres (+5,17 %) dont 70 premiers romans (+14,75 %), d'après nos données Livres Hebdo / Electre Data Service. Il vaut aussi pour la littérature étrangère avec 141 romans traduits (+5,22 %).
En littérature française, les poids lourds se bousculent aux portes de la froide saison. Leïla Slimani boucle sa trilogie du Pays des autres (Gallimard), quand Pierre Lemaitre poursuit sa fresque consacrée au XXe siècle (Calmann-Lévy). Si Le côté obscur de la reine (Mercure), dans lequel Marie Nimier évoque la relation douloureuse avec sa mère, n'est pas la suite de La reine du silence, il fait bel et bien écho à ce précédent récit, consacré à son père et couronné du prix Médicis 2004.
Des habitués et des mystères
Habitué de la rentrée d'hiver, David Foenkinos signe Tout le monde aime Clara chez Gallimard, dans lequel une jeune fille sortie du coma développe un don de voyance. La maison accueille aussi deux autrices absentes de la scène littéraire depuis 2020 : Camille Laurens avec Ta promesse et Nelly Alard, qui dépeint dans La manif les conséquences de la violence policière. Chez Verticales, L'hospitalité au démon, de Constantin Alexandrakis, évoque le ressenti masculin face aux traumas issus d'attouchements sexuels, avec une préface de Neige Sinno.
Chez Julliard, Philippe Besson s'inspire de nouveau d'un fait de société, le harcèlement scolaire. Du côté de Grasset, Vanessa Springora revient avec une enquête sur son histoire familiale, tandis que Frédéric Beigbeder part à la découverte de son père, décédé en 2023, dans Un homme seul (tiré à 35 000 ex.). Andreï Makine signe Prisonnier du rêve écarlate, dans lequel un cinéaste traverse la Russie des années 1990 à la recherche des communistes européens piégés dans l'URSS stalinienne.
À noter également, la triple actualité de Jeanne Benameur en janvier avec un nouveau roman, Vivre tout bas (tiré à 25 000 ex.), un récit inédit, Vers l'écriture. Langue commune, langue singulière (tous deux chez Actes Sud), ainsi qu'un recueil de poèmes, Nous vous parlons d'amour (Bruno Doucey). Après Vie de Gérard Fulmard en 2020, Jean Echenoz revient quant à lui aux éditions de Minuit avec Bristol.
Des retours attendus, et un mystère. Écrit sous pseudonyme, Le roman de Marceau Miller (La Martinière) suscite un fort engouement chez les responsables de droits, autant pour le format poche qu'à l'étranger. Un emballement permettant à La Martinière, qui fête les 10 ans de sa collection de littérature en 2025, de miser sur un tirage à 15 000 copies. Du côté des ovnis de la rentrée, relevons aussi Apnée de Yann Moix (Grasset), qui propose rien moins que traverser le XXe siècle, sous l'eau et en alexandrins.
La Shoah en héritage
Alors que 2025 marque le 80e anniversaire de la libération des camps, la Seconde Guerre mondiale imprègne nombre de programmes. Outre Le procès Mein Kampf, d'Harold Cobert (Les Escales), récit romancé de l'histoire de la publication de Mein Kampf en France, les récits personnels ont la part belle, interrogeant l'héritage traumatique des familles touchées par l'Holocauste. Avec La vie devant moi (Flammarion), Guy Birenbaum raconte l'histoire de sa mère qui, pour échapper à la rafle du Vél d'Hiv', va se cacher durant trois ans dans une chambre de bonne à Paris. Un huis clos qui a inspiré le nouveau film de Nils Tavernier, dont la sortie est prévue le 26 février. Dans Quand la terre était plate (Seuil), le dramaturge Jean-Claude Grumberg, dont le père fut déporté à Auschwitz, brosse aussi le portrait de sa mère.
C'est un puzzle historique et narratif qu'assemble pour sa part Jean Rolin dans Tous passaient sans effroi (P.O.L),où le narrateur part sur les chemins empruntés, en 1940-1945, par ceux qui tentaient de gagner la France libre. La romancière Michèle Audin conduit son héroïne à Strasbourg, dans La maison hantée (Minuit), où elle tente de comprendre ce qui est arrivé à Emma, une couturière, durant les cinq années où l'Alsace était annexée par l'Allemagne. Il est aussi question de mémoire dans Vies et survies d'Élisabeth Halpern (Phébus), de Claire Hazan, qui met en scène une jeune femme invitée en Australie par sa grand-mère pour y écrire le crime parfait : celui de son compagnon qu'elle soupçonne d'avoir participé à la Shoah.
En filigrane, la judéité et l'antisémitisme sont abordés dans plusieurs romans. Le retentissement de l'Holocauste est abordé par Marianne Maury Kaufmann dans Maman se suicide vendredi (Maurice Nadeau), et par Nathalie Zajde, créatrice des dispositifs de prise en charge psychologique des enfants cachés et descendants de survivants de la Shoah en France, dans La patiente du jeudi (L'Antilope).
Par ailleurs, Toutes les vies de Théo (P.O.L), de Nathalie Azoulai, explore les méandres d'une judéité à la française. Dix ans après l'attentat contre Charlie Hebdo, Sarah Barukh dénonce quant à elle l'antisémitisme avec un roman choral, De bleu, de blanc, de rouge et d'étoiles (HarperCollins). Après son premier roman paru en 2014, Baptiste Fillon livre pour sa part Un coup de pied dans la poussière (Le Bruit du monde), ou l'histoire d'une famille juive qui traverse le XXe siècle.
Nouveaux classiques
Une quinzaine d'autres seconds romans sont programmés en cette rentrée d'hiver, parmi lesquels figure La longe, de Sarah-Jollien-Fardel (Sabine Wespieser), de retour après le succès de Sa préférée en 2022. Bourgois renouvelle sa confiance à Guillaume Lebrun pour Ravagés de splendeur qui fait d'Héliogabale, empereur romain du IIIe siècle, une figure de la transidentité. L'Iconoclaste mise de nouveau sur Laura Poggioli, avec Époque, qui nous plonge au cœur de nos addictions contemporaines.
Le pouvoir de la littérature, motif inépuisable, traverse plusieurs œuvres dont celles de Gaëlle Josse, De nos blessures un royaume (Buchet-Chastel). Philippe Vilain raconte qu'il fut l'amant d'Annie Ernaux, et son passage d'une détestation de la lecture à une passion pour la littérature dans Mauvais élève (Robert Laffont). Le traducteur Claro se joue quant à lui des codes de l'autofiction dans son récit Des milliers de ronds dans l'eau (Actes Sud), qui explore une vie consacrée à l'écriture.
En quelques années, singulièrement depuis le mouvement MeToo, d'autres thèmes et procédés s'imposent en classiques, comme la mise en lumière de figures féminines fortes. Il en va ainsi des sardinières de Douarnenez, ces ouvrières de conserveries de poisson dont la grève lancée en novembre 1924 eut un retentissement national, et qui sont au cœur du Lit clos de Sophie Brocas (Mialet-Barrault). Aux Presses de la cité, on découvre la Flamboyante Zola, sous la plume Jean-Louis Milesi, tandis que Viviane Hamy publie Des beaux jours qu'à ton front j'ai lus, de Céline Lapertot, un portrait de Marceline Desbordes-Valmore, comédienne et poétesse itinérante.
Chez Flammarion, Alexandra Lapierre raconte L'ardente et très secrète Miles Franklin (tirage à 30 000 ex.), une fille de fermiers australiens devenue autrice à succès lorsqu'elle publie, en 1901, un premier roman sous pseudonyme masculin. Son autobiographie, Ma brillante carrière, paraît par ailleurs chez Autrement.
Avec Le temps des Madras, Lux éditeur met en lumière une autre voix forte, celle de l'écrivaine Françoise Ega (1920-1976) qui conte une enfance coloniale dans la Martinique des années 1920, depuis le point de vue du féminisme noir. C'est une page honteuse de l'histoire suisse qu'aborde Roland Buti dans Les petites musiques (Zoé), celle des mesures d'« internement administratif » imposées à de nombreuses femmes jusqu'en 1981. Sous la plume de Sylvie Dazy, qui signe Incarnat (Le Dilettante), l'héroïne, condamnée après avoir giflé son patron et amant, découvre l'ivresse d'une violence qu'elle pensait interdite aux femmes.
Réinventer la famille
La maternité reste le terreau de nombreux récits et fictions. En témoignent Le secret des mères, de Sophie de Baere (Lattès), Prends garde à toi, de Manon Fantou (Mercure), Dans le ventre des filles, de Tiphaine Dumontier (Grasset), ou encore La dernière porte, de Lise Marzouk (Héloïse d'Ormesson).
Chez le même éditeur, un roman teinté de réalisme magique, Il était une femme étrange de David Lelait-Helo, questionne lui aussi la maternité, ainsi que l'identité et le travestissement. L'étrangeté prévaut également dans Mon fils ne revint que sept jours, de David Clerson (Héliotrope), où une femme passant ses étés seule dans un chalet en Mauricie reçoit la visite de son fils disparu depuis plus de dix ans.
Mais les pères ne sont pas en reste, comme en atteste L'homme louve de Sevy Neige (L'Aube) dans lequel un homme veut tomber enceint, ou encore Les gestes d'Amanda Sthers (Stock), une fresque familiale qui explore les questions de la paternité et de ce que l'on doit, ou non, transmettre à nos enfants. Dans Berceuse pour Octave et Paul (Bourgois), Arthur Cahn se penche sur le sujet du deuil d'un enfant, tout en étant un texte très politique sur l'évolution de l'opinion au sujet de l'homoparentalité. La relation au père est encore au cœur de La danse des pères, de Max Lobe (Zoé), ainsi que de Safari, de Sabri Louatah (Flammarion), un roman sur l'abandon paternel.
La famille apparaît aussi comme un concept à réinventer, voire à dépasser. C'est ce qu'explore Blandine Rinkel dans La faille, passée de Fayard à Stock, pour ce récit littéraire et critique sur la famille : comment en sortir, habiter d'autres endroits, imaginer d'autres liens ? La littérature a le pouvoir de redessiner ce lieu.
Dystopie générale
Récits d'anticipation et dystopies se fondent dans les programmes de littérature générale, normalisant leur place dans le paysage littéraire. Au Seuil, le protagoniste de La vallée, d'Arnaud Sagnard, est assailli de doutes lorsqu'il participe à un projet capable de donner vie aux héros numériques. À L'Observatoire, Isaac Azancot explore un futur proche avec Le regard d'Aurea, celle-ci étant une intelligence artificielle pouvant sauver l'humanité, comme la conduire à sa perte. Chez Stock, Hexa, de la Québécoise Gabrielle Filteau-Chiba, plante un décor où nul n'a le droit de franchir le Mur qui entoure la ville, tandis que les arbres ont été remplacés par des capteurs de CO2 et que des drones veillent au grain. Il est aussi possible de suivre un homme mis en examen pour non-assistance à planète en danger dans L'affaire Savignac, de Pierre Hurmic (Hérodios), ou bien encore la vie d'amateurs du tableau de La Joconde à une période où la toile et d'autres chefs-d'œuvre tombent en poussière dans L'Avenir, de Stéphane Audeguy (Seuil). On fait un saut dans le temps, jusqu'en 2123, avec L'invention de la mer, de Laure Limongi (Le Tripode). Dans un monde où l'espèce humaine a été contrainte de s'hybrider avec des créatures aquatiques afin de survivre aux catastrophes climatiques, des écrivains amphibies inventent de nouvelles littératures.