Décryptage 

Rentrée littéraire 2023 : l'âge de raison

Olivier Cohen et Nathalie Zberro lors de la présentation de la rentrée littéraire des éditions de L'Olivier. - Photo OLIVIER DION

Rentrée littéraire 2023 : l'âge de raison

Qui veut voyager loin... Côté français comme étranger, la production baisse encore et s'illustre par des choix réfléchis. Conséquence de la concentration éditoriale, les transferts rythment la programmation. Misant sur les talents prometteurs et les écrivains confirmés comme sur les primo-romanciers, les éditeurs cherchent surtout à se tailler une place en librairie alors que les ventes, elles aussi, connaissent une baisse.

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Par Isabel Contreras
Créé le 16.08.2023 à 15h29

C'est un jeu dangereux, on le sait. À la rentrée littéraire, la concurrence féroce entre maisons d'édition - et auteurs -, toutes avides de grands prix, rend l'expérience vertigineuse. Cette année toutefois, une pression supplémentaire arrive côté librairies, où les ventes de fiction en grand format sont en berne. Le phénomène n'est pas récent mais s'accentue ; s'explique-t-il seulement par l'inflation ? De l'avis général, le lectorat peine à se renouveler à une période où la non-fiction tire son épingle du jeu. "Cette situation mérite une réflexion collective, alerte Hugues Jallon, patron du Seuil. Il faut qu'on s'interroge sur la période d'incertitude que traverse ce rayon et qu'on essaye de changer la donne." Pas question donc de publier plus à la rentrée. Les éditeurs poursuivent leur cure d'austérité et resserrent encore leurs programmes. La production globale, historiquement maigre l'an dernier, baisse encore de 5 % et s'établit à 473 romans français et étrangers à paraître entre août et octobre, selon nos données Livres Hebdo/Électre Data Services. Parmi les 328 romans français, nous décomptons seulement 74 premiers romans, un record depuis 2012 ! Côté étranger, la rentrée est stable avec 145 romans.

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Mouvements constants

 

En affichant moins de titres au compteur, les éditeurs se doivent de faire des choix minutieux et calculés. Chez Flammarion, la directrice éditoriale littérature, Alix Penent, en charge de la rentrée, "évite de mettre en concurrence [ses] écrivains" et programme des profils très différents. Du confirmé Thomas B. Reverdy à Charly Delwart et son roman sous forme de questionnaire, en passant par Amélie Cordonnier, plus fédératrice, ou Hugo Lindenberg, distingué par le prix Inter 2021 pour son premier roman. Ce dernier a préféré quitter sa première maison, Christian Bourgois, à la suite du départ de son éditeur, Clément Ribes, chez Gallimard. Il a reçu plusieurs offres avant d'opter pour Flammarion. L'étau se resserre autour de ces auteurs à haut potentiel de ventes. "Les écrivains ont conscience de leur place sur ce marché concurrentiel et concentré, commente de son côté Manuel Carcassonne. Les éditeurs sont, eux, plus vigilants. Nous nous donnons beaucoup plus de mal pour arracher des talents." Le directeur général de Stock parle en connaissance de cause. Parmi ses têtes d'affiche de la rentrée, il compte sur la coqueluche de celle de 2021, Maria Pourchet, nouvellement arrivée au côté de son éditrice Stéphanie Polack, quelques mois après le départ de Sophie de Closets de Fayard. Mais aussi sur Dorothée Janin, ex-Fayard également.

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Les libraires lors de la présentation de la rentrée littéraire des éditions du Seuil- Photo OLIVIER DION

 

Les rachats successifs et autres renouvellements à la tête de grandes maisons redessinent sensiblement le visage de cette rentrée. À la suite de son départ de Grasset, l'éditrice d'Anne Berest, Martine Saada, a atterri chez Albin Michel avec Pascal Quignard et... Claire Berest. Ces deux auteurs portent les couleurs de la rue Huyghens à la rentrée aux côtés de Serge Joncour et Émilie Frèche, tous deux édités par la nouvelle directrice Anna Pavlowitch. Chez Grasset, Charles Dantzig intègre Geneviève Damas, jusqu'ici chez Gallimard, dans sa collection "Le Courage" quand Carole Fives, elle aussi en provenance de Gallimard, démarre une nouvelle étape chez JC Lattès auprès de Constance Trapenard et Véronique Cardi. Cette dernière défend en outre un transfuge de Préludes qu'elle avait autrefois publié, le journaliste Nicolas Delesalle. Après son passage à l'Iconoclaste, David Le Bailly s'installe au Seuil auprès d'Adrien Bosc. Chez Minuit, le nouveau directeur Thomas Simonnet publie son auteur Sylvain Prudhomme, prix Femina 2019, qu'il avait fait connaître à l'Arbalète. Alice d'Andigné et Gabriel Zafrani accueillent chez Robert Laffont un auteur Actes Sud, Wilfried N'Sondé. Aux Avrils, Sandrine Thévenet et Lola Nicolle défendent Karim Miské, de retour au roman dix ans après le succès d'Arab Jazz, alors publié chez Viviane Hamy. Autrefois chez JC Lattès, Hadia Decharrière fait une incursion chez Alma quand Louise Browaeys se rapproche des éditions La Mer salée pour son deuxième roman. De son côté, Dimitri Kantcheloff s'éloigne des Avrils et confie son deuxième texte à Finitude. En sa première rentrée chez Fayard, Isabelle Saporta et son directeur littéraire en charge de la littérature française, Jean-François Dauven, poussent une autrice représentée par Andrew Wylie et précédemment publiée au Dilettante, Marion Messina. L'éditrice Capucine Ruat tente, elle, une première expérience chez Phébus tandis que l'attaché de presse Gilles Paris se rapproche de Lise Boëll chez Plon. La responsable éditoriale de l'école Les Mots, Charlotte Milandri, signe une première fiction aux Équateurs.

 

Locomotives et fidèles

 

Les éditeurs espèrent capter l'attention de libraires et lecteurs avec leurs locomotives. Grasset aligne son dernier Grand Prix du roman de l'Académie française, Laurent Binet, aux côtés de Sorj Chalandon, Léonor de Récondo, Ananda Devi ou Guy Boley. Chez Hachette toujours, Stock pousse un récit très personnel de Luc Lang quand Calmann-Lévy renouvelle son soutien à Ann Scott et Marc Alexandre Oho Bambe. La rentrée Actes Sud sera défendue par le Goncourt 2015 Mathias Énard, ainsi que Sylvain Coher, Lyonel Trouillot ou Clara Arnaud. Côté Seuil, Chloé Delaume revient après son Médicis 2020 accompagnée de Sarah Chiche, Patrick Deville ou Rachid Benzine. Allary retrouve Florent Oiseau et Verticales François Bégaudeau. La rentrée de l'Iconoclaste est défendue par deux fidèles, Julia Kerninon et Jean-Baptiste Andrea, tout comme celle de Mialet-Barrault avec Lionel Duroy et Mazarine Pingeot. Aux éditions Au diable Vauvert, on soutient Thomas Gunzig alors que Rivages appuie Jérémy Fel et Anne Carrière, Yannick Grannec. Elyzad refait sa rentrée avec Jadd Hilal. Chez Sabine Wespieser, Louis-Philippe Dalembert publie son troisième roman, alors qu'à l'Olivier, Agnès Desarthe livre son quinzième roman. Quand Minuit défend en septembre la nouveauté de Jean-Philippe Toussaint, chez P.O.L, Santiago Amigorena renoue avec ses sujets de prédilection et Arthur Dreyfus vient apporter une note d'humour "monstrueuse" avec sa Troisième main. La Manufacture de livres pousse Laurent Petitmangin et Luc Chomarat, et le Tripode place en rentrée le deuxième roman de Dimitri Rouchon-Borie, qui avait marqué les esprits avec son Démon de la colline aux loups.

 

Nouvelle génération

 

Repéré par le Renaudot en 2021, Nicolas Chemla reprend sa place au Cherche Midi. Chez Madrigall, Gallimard mise notamment sur Éric Reinhardt et trois jeunes auteurs autrefois remarqués et distingués par des prix : Paul Greveillac, Maylis Besserie et la journaliste Lilia Hassaine. Fait notoire : l'éditeur pousse quatre premiers romans, un record en cette rentrée frugale. Parmi eux, un talent de l'agence SFSG, Aurélien Cressely. Cette agence représente aussi Catherine Baldisserri, présente dans le programme de Julliard, et Benoît Coquil, dont le premier roman, à paraître chez Rivages, a fait l'objet d'enchères à l'étranger. Le philosophe et ancien candidat à la présidentielle Gaspard Koenig suscite aussi l'intérêt des éditeurs espagnol (Seix Barral) et italien (Neri Pozza) avec un roman qu'il signe, pour la première fois, à l'Observatoire. Un succès québécois portera, lui, la rentrée de Philippe Rey, Éric Chacour. Ancienne star de l'émission Quotidien, comédien et humoriste, Panayotis Pascot s'essaie à la littérature chez Stock quand la comédienne Dea Liane confie son texte à l'Olivier. La metteuse en scène bilingue Georgia Doll se lance, elle, dans l'aventure de la rentrée aux côtés du Rouergue. Parmi les plus jeunes de cette rentrée, Eden Levin, 25 ans et ancien étudiant du master de création littéraire de Paris 8, arrive chez Noir sur Blanc. Issue du même cursus, Anouk Lejczyk incarne la rentrée du Panseur. Il n'est jamais trop tard, s'est dit Bernard Stora qui, à 80 ans, signe son premier roman chez Denoël. Plus connue pour sa casquette d'historienne, Cécile Desprairies devient primo-romancière au Seuil.

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Les libraires lors de la présentation de la rentrée littéraire des éditions du Seuil- Photo OLIVIER DION

À contrecourant

 

Certains la reconnaîtront, Aurélie Lacroix, ancienne attachée de presse à l'Olivier, passe elle aussi de l'autre côté du miroir avec son premier roman à paraître chez Cambourakis. Elle incarne la rentrée en solitaire de la même manière que Louis Cabaret défend les couleurs de Liana Levi et Nadège Erika celles des Livres agités. Chez Belfond, Magali Langlade programme un seul premier roman, signé Raphaël Zamochnikoff, contre deux l'an dernier. Et Jean Mattern, pour sa première rentrée chez Christian Bourgois, défend le premier texte de Jérôme Aumont. La rentrée faisant historiquement office de tremplin, plusieurs éditeurs, pour la plupart indépendants, ont respecté cette tradition et programmé des primo-romanciers. Serge Safran parie sur Hervé Paolini quand Juliette Ponce, chez Dalva, s'est laissé séduire par l'épopée féministe d'Isabelle Garreau. Enfin, Viviane Hamy tente le tout pour le tout avec Aline Caudet. Chez Daphnis et Chloé, même pas peur, le cofondateur Olivier Milliès-Lacroix relance sa collection de littérature aux côtés de deux romanciers, Mathieu Tazo et Jean-Marie Palach.

 

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