19 août > Roman France

Il semble que la mémoire, ou plutôt sa disparition suite à un coma, ou comme ici à un AVC causé par un choc émotionnel, la mort de la femme autrefois aimée, soit plus que jamais au cœur de l’inspiration des romanciers. Après le personnage de Pierre Raufast (1), c’est Léo Socrates, le narrateur d’Olivier Poivre d’Arvor, un diplomate de 55 ans alcoolique et infidèle, plaqué par sa femme Judith, une avocate juive, déçu dans ses ambitions professionnelles - il n’est pas ambassadeur, "seulement" directeur des archives du Quai d’Orsay, transférées à La Courneuve ! -, qui doit se reconstituer des souvenirs. Pour ce faire, profitant d’une conférence qu’on lui a demandé de prononcer (thème : "Le passé, sujet d’avenir"), il se rend à Cayenne, sur les traces de Frédéric Salomon, son ami de jeunesse, son presque frère, son presque amour qu’il a sauvé un jour de la noyade, ancien facho devenu gauchiste engagé auprès des populations amérindiennes, qui a fui la France et la "civilisation". Outre l’émotion de le retrouver, Léo est venu annoncer à Frédéric la mort d’Hélène Sudre, leur prof de philo en terminale à Louviers, en 1973-1974, qui fut à la fois leur mentor et leur premier amour à tous deux. A Rouen, ils ont vécu ensemble deux années rock’n’roll, mais aussi formatrices, avec "cette Socrate aux lèvres peintes". C’est à la suite de l’enterrement d’Hélène que Léo a eu son attaque. Puis il a appris que son amie, enceinte, avait mis au monde une fille, élevée par Frédéric, alors qu’il semble qu’elle ait été de lui. Ne s’appelle-t-elle pas Léa ? C’est au terme d’un éprouvant voyage initiatique au long du fleuve Maroni que le héros, entre-temps nommé préfet, administrateur des Terres australes françaises, poste basé à La Réunion, retrouvera sa mémoire régénérée et soldera enfin son passé.

Voici un nouveau roman bien dans la manière d’Olivier Poivre d’Arvor, écrivain discret à côté de l’homme public, qui suit la même veine depuis Fiasco, son premier roman (Balland, 1984). Romantisme, goût de l’aventure, angoisse existentielle, blessures intimes infligées par la vie sont ses thèmes de prédilection. C’est à la fois cérébral et sensible, toujours impeccablement écrit, maîtrisé : le lecteur souhaiterait parfois juste un peu plus de lâcher-prise. J.-C. P.

(1) Voir LH 1044 du 29.5.2015, p. 50.

08.06 2015

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