Byung-Chul Han a commencé sa carrière en Corée du Sud dans la métallurgie avant de tout plaquer pour se consacrer à la philosophie en Allemagne. C’est peut-être ce parcours atypique qui a si fermement ancré sa pensée dans le réel. Outre-Rhin, il est devenu un phénomène d’édition, une sorte de Michel Onfray qui aurait fait sa thèse sur Heidegger, enseignerait à la Staatliche Hochschule für Ge- staltung de Karlsruhe dirigée par Peter Sloterdijk, mais qui refuserait tout passage à la télévision ou à la radio.
Après la parution de son essai sur La société de la fatigue (Circé, 2014), dans lequel il démontrait les vertus de la redécouverte du temps libre et du jour sans travail, ce philosophe nous revient avec deux nouveaux petits traités sur le désir et sur le numérique.
A la manière d’un Pierre Nicole (1625-1695), il balaie son sujet comme un moraliste. Autant dire qu’il ne prend pas de gants pour pointer ce qui ne va pas. Commençons par le premier essai, sous-titré "L’enfer de l’identique". Pour Byung-Chul Han, nous vivons dans une société libérale qui veut faire de nous des individus accros à la consommation. Tout devient donc objet de désir. A force de tout niveler, de tout ramener à l’état de semblable, la distinction n’existe plus. Ce qui nous plaît est ce qui ne nous distingue plus, ce qui nous fait ressembler aux autres, c’est-à-dire aux modèles proposés par la mode ou le marché. "Dans une société où chacun est l’entrepreneur de soi-même règne une économie de la survie."
Il y a du Debord dans les formules ciselées de Byung-Chul Han. "Le capitalisme avive la pornographie de la société en exposant et en montrant toute chose comme marchandise." L’étourdissement lié au média digital est le sujet du second petit livre dans lequel il analyse la dictature de la transparence, la levée de l’inhibition des internautes par rapport à la dénonciation anonyme, l’insulte, le racisme ou l’excès d’information qui conduit à une sorte de sidération devant les événements, bref à une incompréhension du monde. "Le déclin général des valeurs entraîne une érosion de la culture du respect." Pour le philosophe, l’homme n’est pas une machine faite pour ingurgiter et traiter chaque jour des tonnes d’informations. Il lui faut ce temps de vivre qu’on lui refuse. Aussi, pour lui, comme pour Michel Butor qu’il cite dans les deux ouvrages, la crise que nous traversons aujourd’hui est avant tout une crise de l’esprit. L. L.