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Mon ami et confrère François Gibault, auquel j’ai succédé comme Conservateur du Musée du Barreau de Paris, est, entre autres fonctions et aux côtés de la veuve de Céline, le gardien des œuvres de celui-ci. Il vient de publier « dans la Blanche » des mémoires formidables intitulés Libera me, où il égrène ses souvenirs d’une plume à la fois élégante et précise sous la forme d’un abécédaire. Céline y a son entrée, succincte, mais figure à de nombreuses autres pages de ce gros et savoureux volume dans lequel le lecteur picore avec ravissement et gourmandise sans pouvoir vraiment cesser.

Céline a, de lui-même, mais il faut bien dire que les éditeurs n’avaient guère envie de persévérer, exercé son droit de retrait ou de repentir sur ses trois pamphlets antisémites.
L’article L. 121-4 du Code de la propriété intellectuelle accorde en effet à l’auteur une prérogative morale véritablement extraordinaire du droit commun. Il s’agit du « droit de retrait ou de repentir ». Grâce à ce droit, l’auteur peut revenir sur la publication de son œuvre.

En dépit de tout engagement contractuel, il peut choisir de reprendre son manuscrit et, si l’œuvre est déjà publiée, d’en arrêter la commercialisation. Ce droit exorbitant est bien entendu fortement encadré : d’une part, l’auteur est tenu d’indemniser l’éditeur du préjudice subi ; d’autre part, pour le cas où il reviendrait sur sa décision, il est tenu de proposer à nouveau son œuvre au même éditeur avant tout autre et aux mêmes conditions que précédemment conclues (1). L’auteur ne peut exercer cette prérogative, particulièrement exorbitante du droit commun, que pour des raisons purement morales. En aucun cas des motifs pécuniaires ne doivent intervenir. S’il peut ainsi s’appuyer sur des préoccupations morales pour exercer son droit de retrait ou de repentir, il ne peut invoquer une rémunération trop faible.

Jacques Chardonne a ainsi réussi à rattraper Le Ciel de Nieflheim dont il venait de signer le service de presse l’occupant a commencé de lui sembler moins sûr que le débarquement, un jour, des Alliés.

Plus récemment, l’affaire Cioran a opposé au palais de justice de Paris l’exécuteur testamentaire de l’écrivain roumain aux éditions de L’Herne. Ce conflit autour d’un texte haineux de jeunesse, renié plus tard par son auteur - conscient si ce n’est du caractère inacceptable de cette prose en tout cas de l’image désastreuse qu’il aurait alors traînée dans le Paris de ses aphorismes -, a notamment remis en lumière ce singulier droit de retrait ou de repentir.

François Gibault s’interroge, et est interrogé, de plus en plus sur la fin du retrait des pamphlets de Céline qui ont toujours été vendus à prix d’or chez les bouquinistes, ont été republiés sous le manteau et dans de méchantes éditions pirates mais sont surtout aujourd’hui reproduits sur internet par les mêmes officines politiquement très orientées. Alors, à quand verra-t-on une édition scientifique irréprochable chez Gallimard, avec un apparat critique inattaquable, préfacée avec dignité et respect de la  mémoire de la Shoah, pour couper court à cet atroce traficotage ?
 

(1) Tribunal de grande instance de Paris, 27 octobre 1969, Revue internationale du droit d’auteur, janvier 1970, n° LXIII, p. 235.

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