La stratégie de plaire. La séduction amoureuse est pour les Français « une grande passion constitutive de l'identité nationale ». C'est un fameux historien des mentalités qui le dit, auteur de quelques études remarquables comme La sorcière au village (Gallimard, 1979), Une histoire du diable (Seuil, 2000) ou La civilisation des odeurs (Belles Lettres, 2017). Pour le démontrer, Robert Muchembled a enquêté sur les racines séductrices de la France. Il l'a fait dans un bel essai tonique, sans notes − ce qui en rend la lecture d'autant plus baguenaude −, tout en restant érudit. De plus, ce fils d'une famille de mineur du Nord n'hésite pas à évoquer sa trajectoire personnelle pour expliquer et son goût de l'histoire et sa perception de l'évolution de la séduction dans la seconde partie du XXe siècle.
Mais qu'a-t-elle de si particulière, cette séduction française ? Et pourquoi prendre la Renaissance comme origine ? C'est en effet sous François Ier que paraît La vie des dames galantes de Brantôme. En soi, il s'agit presque d'un travail de sociologue avant la lettre. Mais « le valet de chambre de l'histoire » ne rend pas compte de ce XVIe siècle rural où les jeunes filles ne sont pas autorisées à extérioriser leurs désirs. La séduction y est évidemment mal vue, notamment par l'Église. Séduire, c'est obtenir une faveur en détournant du droit chemin, « amener à l'écart » selon l'étymologie. Pour le christianisme, la démarche est liée au péché. La séduction, c'est la tentation du diable, qui se manifeste dans l'antiféminisme d'alors.
La situation évolue sous Louis XIV avec une étiquette à Versailles qui tempère l'agressivité des nobles mâles. Sous la Révolution, 80 % des Français habitent la campagne, c'est exactement l'inverse aujourd'hui. Cette urbanisation va radicalement changer les principes d'une séduction « à la française » marquée par la figure de la Parisienne qui prend corps à la Belle Époque, en même temps que l'essor du parfum et de la mode. « La morale cesse d'être reliée à l'angoisse de déplaire à un Dieu terrible pour commencer à se fonder sur la nécessité de vivre en commun. » On publie des manuels de savoir-vivre, et séduire n'est plus le seul apanage des hommes.
« En France, le jeu de séduction réciproque galant qui se développe durant un demi-millénaire, à partir du règne de François Ier, définit l'homme comme séducteur, actif, au contraire de la femme, séduisante, passive. » Voilà qui contrevient à l'actuel code Rousseau (Sandrine ?) sur la conduite sociale entre individus plus ou moins genrés. L'excellente enquête de Robert Muchembled permet de replacer ce sujet d'actualité sur la longue durée en dégageant quelques spécificités hexagonales. « Sur les décombres d'un ordre viril traditionnel se bâtit au XXe siècle une perception nouvelle de la séduction. » Ce modèle français, fragile et vieillissant, est tout de même capable « de transcender ou d'atténuer les conflits », notamment dans l'espace public. Mais on est encore loin de le voir classer par l'Unesco au patrimoine culturel immatériel...
La séduction. Une passion française
Les Belles Lettres
Tirage: NC
Prix: 25 € ; 340 p.
ISBN: 9782251454009