Ouverte le 8 février, la Médiathèque-Maison de Quartier Léonard de Vinci symbolise le renouveau du Mas du Taureau, un quartier prioritaire de Vaulx-en-Velin, dans la métropole de Lyon. Son architecture remarquable traduit un projet global ambitieux, à l’échelle du centre culturel comme du quartier.
Entretien avec son architecte Rudy Ricciotti, grand prix spécial du jury de l'Équerre en 2016 pour le Mémorial de Rivesaltes à Salses-le-Château (Pyrénées-Orientales), à qui l’on doit notamment le MuCEM (Musée des Civilisations d’Europe et de Méditerranée) à Marseille, la Bibliothèque Humaniste à Sélestat (livrée en 2018), la Bibliothèque universitaire des Grands moulins à Paris (2006), la Médiathèque et centre d’art contemporain à Colomiers (2011) et la Médiathèque Latour-Maubourg à Valence (2020).
Quelle est la spécificité architecturale d’une médiathèque ?
Tous les projets que je fais sont contextuels. Quand on bâtit une médiathèque, le sujet n’est pas tant son fonctionnement que son inscription dans la ville et auprès des habitants. C’est important de savoir à qui l’on parle, d’où l’on parle et à qui on s’adresse.
Vaulx-en-Velin est une ville qui a beaucoup souffert — je pense notamment aux émeutes de 1990. Ce désespoir populaire nourrit énormément d’ambition pour les habitants. La ville est gérée admirablement par la maire Hélène Geoffroy, une femme d’origine africaine qui a été secrétaire d’État chargée de la Politique de la Ville dans le gouvernement de François Hollande. Ma belle-fille, d’origine béninoise et issue du quartier du Mas du Taureau, est devenue architecte, son frère ingénieur... là est la preuve de ces enfants issus de l’immigration porteurs de volonté.
Ce quartier dans lequel la médiathèque est implantée est en plus d’une certaine brutalité urbanistique, un territoire confronté à l’exil de la beauté. Il fallait donc créer le désir par des signes positifs.
Lesquels ?
Le béton blanc, immaculé, redonne de la lumière au quartier. Le bâtiment, un carré pur légèrement déformé, est alors mis en scène dans son paysage. En façade, des colonnes ondulantes renvoient au passé hydrologique de Vaulx-en-Velin, évoquent au choix des roseaux ou des écoulements aqueux. On convoque la figure du péristyle, et les 175 poteaux porteurs en béton blanc jouent tout à la fois de structure porteuse, filtre solaire, ornement et promenade. L’objectif est qu’il y ait une compréhension populaire du lieu, que le bâtiment soit une main tendue, qu’il y ait du plaisir à aller dans la médiathèque.
Quel était le cahier des charges ?
La demande de la Ville portait sur un programme complexe et imbriqué qui allait au-delà de la simple médiathèque, incluant une salle de spectacle, un parking, une base de loisir, une salle de danse, un FabLab en plus des espaces de lecture habituels.
La médiathèque s’inscrit également dans un quartier à créer, la future ZAC du Mas du Taureau, ce qui s'installe entre deux temporalités : celle d'aujourd'hui, héritière de l'histoire des zones périphériques des grands ensembles, et celle de demain, qui engage un nouveau développement urbain pour la Ville de Vaulx-en-Velin et qui joue le rôle de catalyseur.
Dans son essai Pour des bibliothèques flexibles, Xavier Coutau écrit que « Le geste architectural peut être à double tranchant : à la fois signal éminent, transcendant et malraussien d’un lieu de la culture en majesté pour les un.es, mais aussi et dès lors symbole écrasant du lieu de savoir devenant lieu de pouvoir, potentiellement écrasant pour toutes celles et ceux qui n’en sont pas familiers. » Comment ne pas intimider les habitants face à ce bâtiment impressionnant ?
La notion d’originalité peut déclencher des désirs d’entrer dans la médiathèque et je ne ressens pas ce problème d’une prétendue « architecture à double tranchant ». Le Mucem, le département des arts de l'Islam au musée du Louvre, le stade Jean Bouin à Paris, le Musée Cocteau à Menton ont reçu un succès populaire. Je suis un architecte populaire. Je n’ai pas de leçons à donner sur le bon goût, j’essaie simplement de rendre service au pays auquel j’appartiens, de faire des efforts pour que les gens aiment et se reconnaissent dans l’architecture de leur territoire. Qu’il y ait une « identité », même si ce terme est devenu suspect, à tort.
Les habitants ont-ils été impliqués dès la genèse du projet ?
Le projet a été retenu par concours, donc dans la confidentialité et l’anonymat. Ce n’est qu’une fois que le concours est gagné qu’il peut y avoir un dialogue participatif sur le fonctionnement de la médiathèque.
La tendance est au « tiers-lieu » : mais que recouvre ce concept, est-il galvaudé ?
C’est un terme qui relève de la sociologie urbaine, qui ne m'intéresse pas et se nourrit de culpabilisation. Ce qui se passe ensuite dans la médiathèque dépend de ceux qui vont assurer son fonctionnement et dont va dépendre son succès.
La position de ceux qui gèrent la médiathèque est majeure : il faut qu’ils apprennent à aimer la population qui y entre. A la Médiathèque et centre d’art contemporain de Colomiers par exemple, le programme prévoyait de mettre dans une position de pouvoir les personnes qui y travaillaient, comme dans un programme industriel du XIXe siècle où les dirigeants ont une vue dominante sur les ouvriers. Moi, je les ai repliés à l’étage pour qu’on ne les voie pas. Ce que je veux dire, c’est que la fonction administrative peut être en partie responsable de la distance avec un lieu de culture. A travers cette médiathèque, j’essaie de rendre ce service public généreux.