« C'est une histoire d'enfants sauvages », prévient l'incipit. L'avant-propos de Forêt-Furieuse de Sylvain Pattieu a des allures de didascalies, plantant le décor, nous présentant ses jeunes protagonistes : La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule, Destiny-Bienaimée, Méduse, Mohamed-Ali, Tout-Le-Fait-Rire, Brille, Trogne, Espoir, Moufle ; nous indiquant que dans cette bande d'enfants deux groupes s'affrontent : « les strongues et les bitches ». Histoire de négriers et de pirates, Et que celui qui a soif, vienne (Rouergue, 2016), écriture du réel (Avant de disparaître, chroniques de PSA-Aulnay, Plein Jour, 2013), fiction ancrée dans l'ultra-contemporain d'une ZEP (Des impatientes, Rouergue, 2012) ou incarnée dans le Marseille des années 1920 avec putes, macs et anarcho-syndicalistes (Le bonheur pauvre rengaine, Rouergue, 2013), Pattieu jongle de styles. Ici c'est encore différent. Peu importe le masque, le monde crie sa vérité : la société est lutte et l'homme est combat.
Aux Enfants de Melkizédec, alias la Colonie, institution pour orphelins peu ou prou handicapés (bossu, en fauteuil roulant), éclopés de la vie, marginaux, pas de principes si ce n'est « la totale autonomie ». Comme dans moult cosmogonies, un duel fondateur, entre un strongue et une bitche. Tout-Le-Fait-Rire le strongue a battu Jambe-Fer la bitche. Blessée, humiliée, la bitche se laisse mourir. Et la Faucheuse de projeter son ombre au-delà de la Colonie, sur le monde extérieur, une ambiance de violence et de mort imprègne la suite.
La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule s'aventure dans la forêt où elle rencontre une femme-arbre. Les bagarres de la Colonie étaient d'une brutalité tendre, hors de cet univers clos, la réalité n'est plus un jeu d'enfants. Darnert, à la toque de loup, chef des bergers, avec son gang des « demoiselles » mène une guerre sans merci contre les charbonniers - Kylian PetitCœurCouronné et ses « hommes-guerre » - qui détruisent la forêt et l'empêchent de faire paître son troupeau. On trafique, on violente, on tue. Le maire du village interdit toute exploitation. En vain. Entrent en scène les « supermuslim » qui entendent soumettre chacun à la férule de leur foi. Ces pages brûlent tel un incendie qui ravagerait la vieille bibliothèque d'une littérature bien connue de gamins isolés ou perdus, livrés à eux-mêmes. C'est un tout autre genre, ça tient du conte et de l'épopée, un rythme de slam, parfois de ballade, des entrées botaniques, des portraits d'arbres, c'est transgenre.
Forêt-Furieuse - Photographies Alain Laboile
Rouergue, « La brune »
Tirage: 5 500 ex.
Prix: 23 euros ; 656 p.
ISBN: 9782812618338