Ce qu’il y a de bien avec Jean Echenoz, c’est qu’on peut l’écouter pendant des heures. On a aimé le suivre sur les traces de Maurice Ravel (Ravel, éditions de Minuit, 2006), celles d’Emil Zatopek (Courir, éditions de Minuit, 2006) ou de Nikola Tesla (Des éclairs, éditions de Minuit, 2010).
Caprice de la reine, son nouveau livre, compte sept récits, plus ou moins modifiés, parus dans des ouvrages et des périodiques, ou ayant fait partie d’un projet théâtral. L’auteur de Je m’en vais (éditions de Minuit, 1999, prix Goncourt, repris dans la collection "Double") s’intéresse ici autant aux êtres qu’aux lieux. La promenade commence à l’hiver 1802 avec Nelson et l’amiral du même nom.
Celui-ci revient de la bataille de Copenhague et se rend à un dîner dans la campagne anglaise. Le pauvre n’a jamais cessé de souffrir "affreusement" du mal de mer depuis le jour où il est monté pour la première fois sur un bateau. Le "petit homme mince, affable, juvénile" a l’air bien "fragile, friable, au bord de se fracturer tout le temps". Il a laissé des plumes dans les assauts. Perdu l’usage de l’œil droit, atteint par des éclats de pierraille. Rendu gaucher par un tir de mousquet. Ce qui ne l’empêche pas de planter dès que possible "des arbres dont les troncs serviront à construire la future flotte royale"…
Le texte qui donne son titre au volume décrit avec précision une terrasse, un ravin, un champ et des vaches. Un décor de la campagne mayennaise où l’on note également la présence d’un tuyau d’arrosage orange et de fourmis au trafic fort dense.
A Babylone permet de visiter une monumentale ville carrée au centre d’une plaine fertile, d’entendre parler d’Hérodote, "explorateur autant qu’historien" qui va parfois un peu vite en besogne, de bateaux "ronds, sans proue ni poupe, et tout en cuir", de l’onagre, dont la viande rappelle celle du cerf en plus fin. Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d’une montre propose le passage en revue de quelques reines de France, de Navarre ou d’Angleterre, de régentes, duchesses ou saintes. A chaque fois, le lecteur apprend ce qu’elles tiennent dans leurs mains, leurs coiffures et bijoux, leur expression. Et parfois la présence de "gros seins"…
Avec Génie civil, nous voici au printemps 1989. Lorsque Gluck roule dans le sud des Etats-Unis au volant d’une "Chevrolet Caprice Classic décapotable vert citron plus tout à fait de son âge". Dans Nitrox, un homme observe une femme du nom de Céleste Oppenheim. Elle porte d’abord une culotte et un soutien-gorge blancs puis enfile une combinaison de Néoprène anthracite "épousant ses reliefs au plus près". Trois sandwiches au Bourget, enfin, offre d’accompagner un homme qui possède une carte senior et fomente le projet de se rendre pour la première fois au Bourget. Afin d’y déguster un jambon-beurre avec un ballon de côtes…
Jean Echenoz est un guide épatant. Avec lui, on voyage en s’instruisant et en se divertissant à la fois. Départ dans toutes les bonnes librairies le 3 avril. Nombreuses places disponibles. Une affaire à saisir.
Alexandre Fillon