Morgan Sportès est un obsessionnel. Lorsqu'il a une idée, il la pousse jusqu'à l'extrême. Cette fois, avec Tout, tout de suite, il a décidé de "romancer" l'affaire dite du "gang des barbares", dont on n'a pas oublié la nature particulièrement ignoble.
Début 2006, une bande de racailles de banlieue de toutes origines avait décidé de s'en prendre à un jeune Juif, non pas tant à cause de sa confession que de sa supposée richesse ou de celle de sa famille, voire de ses coreligionnaires. Dans toutes les communautés, on est censé se soutenir, n'est-ce pas ?
Après plusieurs échecs lamentables, la bande parvient à enlever le jeune homme, que Sportès a rebaptisé Elie. Sauf que celui-ci, qui bricole dans un magasin de téléphones portables, n'a pas de "thune », et que sa famille, modeste, n'est pas en mesure de réunir la somme faramineuse (300 000 euros) que le Boss, désigné lui sous le nom de Yacef, réclame au début ! De toute façon, d'après Morgan Sportès, la police a interdit à la famille d'Elie tout contact direct avec les ravisseurs, tout versement d'une éventuelle rançon. Stratégie qui, aujourd'hui encore, ne fait pas l'unanimité chez les protagonistes du drame. Car ce qui n'est à l'origine qu'une combine minable montée par des baltringues, des petits malfrats pathétiques qui ont à peu près le QI d'un falafel et le courage d'une vipère, va virer à l'horreur. Alors que ses complices se dégonflent et se débandent, que les pauvres filles qui ont servi de rabatteuses, d'"appâts » pour la "cible », jacassent beaucoup trop, Yacef, pressé par ses "associés" - de vrais pros, eux, qui ont réalisé le kidnappping - pète les plombs et ne sait plus quoi faire pour rentrer dans ses frais et régler les parts promises à son petit personnel...
Il imagine, selon l'écrivain, un système rocambolesque, la rançon parvenant en Côte d'Ivoire, pays d'origine de Yacef, où il s'enfuit chaque fois que la situation, ici, devient un peu tendue. Pendant ce temps, ses sicaires torturent Elie, afin de lui faire avouer les noms de tous les gens susceptibles de payer pour le revoir vivant. En vain, bien sûr. On le retrouvera, nu et mourant, le 13 février 2006. Il ne survivra pas à ses blessures, infligées par Yacef.
Au terme d'une enquête maniaque et périlleuse, qui l'a même conduit à entrer en contact avec le Boss, Morgan Sportès signe un grand roman-vérité (qu'il appelle, lui, "un conte de faits ») d'une sobriété exemplaire où il soulève nombre de questions dérangeantes. Ici, aucun ego d'écrivain, un style simplifié jusqu'à l'os et une vertigineuse capacité d'incarner tous les rôles à la fois, de reconstituer situations et dialogues en temps réel comme si on y était pour de vrai, de se glisser dans toutes les têtes, y compris les perverses : ""Je crois en Dieu, pas en l'Homme : mais je crois en ses intérêts" m'écrira Yacef, trois ans plus tard, de sa prison. Telle est sa vraie religion », rapporte l'écrivain.
Tout, tout de suite est l'un des meilleurs livres de Morgan Sportès. Un réquisitoire accablant contre l'inhumanité croissante de notre société, laquelle rend de tels monstres et de telles abominations possibles, qui devrait provoquer nombre de débats passionnés. A coup sûr, l'un des événements de la rentrée littéraire.