Expert ès bougeotte, écrivain-bourlingueur, Sylvain Tesson a découvert la Sibérie il y a quelques années déjà. Conquis par ces contrées extrêmes, cette nature âpre et encore inviolée, cette sauvagerie, il s'était juré d'y revenir plus longtemps, avant d'avoir quarante ans. Non plus tant pour parcourir, explorer, que pour vivre, goûter, puis faire partager son expérience. D'où, de février à juillet 2010, ces six mois passés seul dans une cabane en bois sur les bords du lac Baïkal, en Bouriatie, non loin de la frontière mongole, et racontés maintenant sous forme de journal.
Même si Tesson, voyageur professionnel expérimenté, s'était minutieusement préparé, emportant avec lui l'essentiel - des litres de vodka, des caisses de havanes et une bibliothèque conséquente -, il lui a fallu un courage certain, une force d'âme peu commune, et une sacrée résistance pour aller jusqu'au bout de l'objectif qu'il s'était fixé. Et même s'il dispose en lui de solides ressources, les "GMS" (ou "grands moments de solitude", comme les appelle son complice Alexandre Poussin) ont dû être nombreux, voire quotidiens. Ainsi ce jour de mai, quand son téléphone cellulaire, qui n'avait presque pas fonctionné jusque-là, se mit à marcher juste pour lui annoncer que sa tendre et chère, lassée de jouer les Pénélope, avait décidé de rompre...
L'ermite s'est consolé grâce à une solide beuverie, pratique dont, si on l'en croit, il est coutumier, tant en solitaire qu'en compagnie de quelques rares autochtones (gardes-chasse ou pêche, météorologues ou simples oubliés de l'histoire) dont la réputation alcoolique a dépassé les frontières. Et aussi grâce à l'affection de ses deux chiots, Bêk le blanc et Aïka la noire, bien plus futée que son frère. A un moment, les voyant dormir pelotonnés l'un contre l'autre, Tesson les compare joliment au symbole du yin et du yang. Et puis en priant devant l'icône de Séraphin, qui ne le quitte jamais, pas plus que sa petite croix autour du cou, orthodoxe.
Notre homme a de la culture, de l'humour, et une vraie profondeur. Laquelle se dissimule un peu derrière son goût pour les saillies, bons mots, aphorismes et citations, dont il truffe sa conversation, ses conférences et ses livres. Il explique lui-même qu'une de ses motivations pour tenter l'expérience de l'érémitisme, c'est, entre autres, parce qu'il se trouvait trop bavard ! Mais aussi perdu au milieu d'un siècle où il ne se reconnaît pas, bien plus à l'aise avec ses amis bouriates et ses chiens que dans les salons parisiens. L'érémitisme, selon lui, est la seule attitude authentiquement rebelle face au monde "moderne" globalisé, parce qu'elle le nie. Dans la durée, l'absolu triomphera toujours de l'éphémère.
Depuis, Sylvain Tesson nous est revenu de son petit goulag volontaire, plus fort, plus mûr. Heureux de retrouver un certain confort, ses chers cigares (cet "encens profane") et ses proches. De faire partager aussi cette aventure peu banale à ses lecteurs. Et, bien sûr, il repartira. Parce que tel est son karma.